Avant d’exploser mondialement avec le fabuleux thème du générique de la série Mission : Impossible en 1966, Lalo Schifrin s’était déjà fait un nom dans le jazz, notamment aux côtés du trompettiste Dizzy Gillespie. Mais c’est en 1964 que son talent de compositeur pour l’écran éclate au grand jour avec Les Félins de René Clément.
Lalo est alors sous contrat avec le label Verve, propriété de la MGM, qui finance le film avec le producteur Jacques Bar. Lalo parle français, ce qui fait qu’il est choisi par René Clément, car cela facilite les échanges. Malgré son relatif jeune âge (32 ans) et son manque d’expérience, le réalisateur lui fait confiance dès le départ. Dans ce troisième film que Clément signe avec Alain Delon, le générique commence par le cri d’une femme suivi par un glissando descendant aux ondes Martenot, puis un ostinato de guitare basse entame son rythme suivi par la flûte, un clavecin, une contrebasse, et des cuivres pour un thème devenu célèbre qui montre d’emblée le génie de son compositeur, apte à marier avec brio et une patte très personnelle et très « groovy » des instruments disparates et la voix humaine.
« René Clément m’a permis de révéler ce potentiel, de combiner musique symphonique, jazz et électronique. Si l’on compare ma carrière cinématographique à une maison, Les Félins en sont les fondations », a dit le compositeur argentin, dont la carrière n’a pas eu le temps de monter en puissance. Elle démarre d’un coup au plus haut niveau et y restera un nombre incroyable d’années.
Lalo raconte dans un entretien à la Cinémathèque française en 2017 que la musique lui vient dans la tête directement, complète, quand il regarde le premier montage du film, révélation stupéfiante. Dans le livret du CD paru chez Universal Music, Lalo dit : « J’avais en moi un ressort, des choses à exprimer… Et ce sont Les Félins qui m’ont permis de révéler ce potentiel, de combiner musique symphonique, jazz et électronique. Autrement dit, de faire faire la synthèse entre mes différentes cultures… C’était la première fois. (…) Cette partition contient les germes de Bullitt, Dirty Harry ou Opération Dragon. On y trouve aussi bien du swing et des dissonances, de l’orchestre et des formations plus réduites. »
Cette expérience des Félins et la rencontre avec Clément resteront gravés dans la mémoire du compositeur. Selon Lalo : « Pour moi, composer Les Félins, c’était comme passer une thèse. (…) A l’arrivée, le film m’a donné davantage confiance en moi-même : les idées, les ambitions orchestrales que j’avais en tête pouvaient prendre forme, se concrétiser. Cette partition contient ma double passion pour le jazz et la musique moderne, sans doute aussi l’influence d’Olivier Messiaen, l’un de mes maîtres. »
BO incontournable dans l’œuvre de Lalo, Les Félins se savoure autant en disque que dans le film. Celui-ci, par la modernité de ses images en noir et blanc et son montage nerveux, par sa bascule étonnante entre polar et thriller psychologique, par l’ambiance vénéneuse qu’il distille, s’impose comme un jalon important du cinéma. Et la musique joue un rôle primordial dans sa réussite, tant elle donne aux images leur saveur et aux personnages leur ambiguïté.
A noter que Lalo utilisera un thème secondaire de la BO un peu plus tard dans un album pour Verve avec l’organiste Jimmy Smith intitulé The Cat, lui aussi devenu un standard du jazz.
Les Félins est visible en ce moment sur Arte, ne le ratez surtout pas.
Merci pour cet éclairage. Encore un ex étudiant de Nadia Boulanger !
Exact ! Comme Philip Glass, Quincy Jones et Michel Legrand !