Mourir peut attendre, dernier opus de la saga James Bond sorti en 2021, prend depuis quelques jours une saveur nouvelle, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est amère. Qui pouvait se douter alors que les adieux à ce personnage mythique seraient définitifs ?
Rembobinons. Le 20 février dernier, la nouvelle est tombée. Amazon a pris le contrôle artistique de la franchise Bond au détriment de Barbara Broccoli et Michael G. Wilson (EON Productions), les gardiens du temple. J’avais évoqué ici le conflit opposant l’entreprise familiale à Amazon suite au rachat en 2021 de MGM, le studio qui détenait les droits de la franchise, par le groupe de Jeff Bezos. L’acquisition avait été finalisée l’année suivante, après approbation des régulateurs. Ce rachat permettait à Amazon de contrôler indirectement la franchise, tandis que les producteurs historiques Barbara Broccoli et Michael G. Wilson conservaient leur droit de regard sur les décisions créatives. Cette époque est révolue.
James Bond, héros aux multiples visages qui, chaque décennie, s’adaptait tant bien que mal à son époque, va entrer dans l’ère du streaming, celle qui a transformé nos téléviseurs en robinets à « contenus », mot terrible qui oblitère d’emblée toute velléité créatrice et érige l’avis du plus grand nombre en table de loi.
Nul doute que les dirigeants d’Amazon vont exploiter à fond leur nouvelle poule aux œufs d’or en abreuvant un public avide de « spin offs », « sequels », « origin stories » et autres « reboots ». Cette malheureuse bascule vers la surexploitation narrative d’une fiction jusque-là réservée au grand écran risque de faire perdre au plus grand héros du cinéma d’action moderne de sa superbe en l’éparpillant façon puzzle dans des incarnations télévisées anecdotiques et dévitalisées.
Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une saga mythique se prend un mur, la vente de Lucasfilm à Disney par son créateur George Lucas en 2012 ayant démontré à quel point le manque de vision, de cohérence et d’inspiration pouvait être fatal à ces sagas cinématographiques.
Certes industrielle, la méthode de travail de Broccoli et Wilson s’apparentait à une forme d’artisanat géant qui érigeait rareté et qualité en valeurs absolues, et qui a permis au personnage de durer soixante ans en traversant les époques, une longévité unique et remarquable. Un savoir-faire qui risque de se diluer dorénavant dans les algorithmes. Alors, avant de dire adieu à James Bond, savourons une fois de plus sa plus bouleversante incarnation musicale.
Mise à jour au 5 mars 2024 : Bond a eu droit à son enterrement en grandes pompes avec un numéro musical aux Oscars, applaudi dans le public par Broccoli et Wilson, lesquels ont eu droit fin 24 à leur Irving G. Thalberg Award. L’attribution de ce prix reconnaît leur contribution exceptionnelle à l’industrie cinématographique et leur dévouement à maintenir l’excellence de la saga James Bond.
On ne peut que regretter au final que les deux producteurs aient fini par céder face à Amazon, empochant au passage la rondelette somme d’un milliard de dollars. Si les raisons précises de leur revirement n’ont pas été divulguées, on peut raisonnablement citer les suivantes : le poids financier, les nouvelles stratégies de production et de distribution, l’évolution du marché, et leur âge. Autant de facteurs qui ont sans doute convaincu Wilson et Broccoli que laisser Amazon gérer le futur de James Bond était la meilleure option, même si cela signifie perdre une partie du contrôle créatif.