Voici enfin le documentaire attendu depuis des mois. Avec Steven Spielberg à la production et Laurent Bouzereau à la réalisation, on ne pouvait que s’attendre à quelque chose d’exceptionnel, un documentaire qui rendrait hommage à John Williams de la meilleure façon possible. Et le résultat est à la hauteur de nos attentes. Dans “Music by John Williams”, disponible depuis ce matin sur Disney+, le réalisateur attitré des making of de Spielberg, qui travaille à Hollywood depuis les années 1970, se plonge avec délectation dans la carrière pléthorique de ce géant de la musique, âgé aujourd’hui de 92 ans.
Le documentaire, d’une durée d’une heure et quarante-cinq minutes, commence logiquement par la collaboration exceptionnelle du compositeur avec Spielberg qui s’est étalée sur 29 films et dont on espère un nouveau chapitre pour 2026. Délaissant une approche strictement chronologique, Bouzereau mêle époques et films pour dégager une constante : l’adéquation parfaite entre la musique du compositeur et l’image et l’ampleur énorme de son apport pour rendre ces univers tangibles.
Un grand nombre de personnes s’expriment non seulement sur la musique du compositeur mais aussi sa vie privée, notamment Brandford Marsalis, Paul Hirsch, Gustavo Dudamel, James Mangold, Chris Martin, ou sa propre fille Jenny Williams. Chacun y va, comme il est de coutume dans ce genre de projet, de ses compliments et hommages, mais sans que cela paraisse forcé, principalement parce qu’il n’y a personne à convaincre et pas de film à défendre. De nombreuses anecdotes déjà connues sont évoquées (la découverte hébétée par Spielberg de l’ostinato des Dents de la mer, le choc ressenti face à La Liste de Schindler par un Williams ne s’estimant pas à la hauteur de la tâche), mais on peut aussi découvrir de nombreuses photos inédites et des extraits des home movies tournés par Spielberg en personne pendant l’enregistrement des BO de son ami (géniales images du travail sur E.T. !).
Mis en confiance par son interlocuteur, Williams se livre comme jamais, notamment sur le décès de sa première femme Barbara Ruick en 1974 d’une rupture d’anévrisme, sujet qu’il n’avait jusque-là abordé que de manière allusive. C’est sans doute un des moments les plus émouvants du documentaire. “J’ai mis mon travail de côté, je ne voulais plus entendre parler de films, d’histoires et de personnages”, dit-il. Il compose alors un concerto pour violon en hommage à sa femme disparue, qui le laisse seul avec trois jeunes enfants. Jenny, l’aînée, s’occupe de ses deux frères. Il ajoute : “J’avais l’impression que Barbara m’aidait. Après son décès, j’ai évolué professionnellement, j’ai gagné une forme d’énergie, je me suis tout simplement immergé plus profondément dans mon métier.”
Bouzereau revient sur le parcours accidentel d’un Williams qui se voyait d’abord comme pianiste professionnel et qui petit à petit a monté les échelons du système hollywoodien pour accéder au poste de compositeur. Une des qualités du film est de mettre l’accent sur le travail énorme exigé pour mener à bien une telle tâche, travail exécuté sans faire appel à la technologie, Williams étant comme toujours apôtre du crayon et du papier.
A la question de savoir quel impact le succès énorme du premier Star Wars a eu sur sa carrière, Williams répond que cela lui a permis de diriger les plus grands orchestres et que cela a conduit à sa nomination à la tête du Boston Pops en 1980, à une époque où la résistance face à la musique de film était encore forte dans le milieu de la musique classique. La citation savoureuse de Duke Ellington (“Il n’y a que deux types de musique : bonne ou mauvaise”) s’applique merveilleusement à la carrière de Williams, qui n’a cessé de s’évertuer à briser les barrières entre les différents types de musique pour faire reconnaître celle pour l’écran à part entière.
Sa musique pour la salle de concert est aussi évoquée, plus brièvement, ainsi que ses collaborations avec Yo-Yo Ma, Anne-Sophie Mutter et d’autres, et sa participation musicale aux Jeux olympiques et événements divers, qui permettent au compositeur de se “lâcher”.
L’apport musical de Williams est bien résumé par James Mangold, réalisateur du dernier Indiana Jones : “C’est le plus grand défenseur de la musique jouée par l’orchestre car ses musiques de film en rappellent la beauté.” Et Spielberg d’ajouter : “Je suis fier de ne pas avoir utilisé de musique électronique, à part quelques sons de synthé ajoutés à l’orchestre comme dans Munich. John reste fidèle au côté vivant de l’interprétation.” Le compositeur avoue aussi une certaine inquiétude quant à l’avenir de la musique telle qu’il l’entend, qui serait “en train de mourir”. Il poursuit : “Verra-t-on un jour un nouveau Brahms ou un nouveau Wagner ? En ce moment, alors que la musique évolue en tant qu’activité artistique, on se pose des questions.”
Avec sa modestie habituelle, Williams avoue avoir été “incroyablement chanceux” et cite les œuvres de son répertoire dont il est le plus heureux, je vous laisse la surprise.
Au final, Music by John Williams est un hommage savoureux au plus grand compositeur contemporain. Sa principale qualité est qu’il est bourré de musique, comme il se doit. Sans sombrer dans la dithyrambe facile, Laurent Bouzereau (auteur récemment de Faye), visiblement inspiré par son sujet, trouve le ton juste pour évoquer cette carrière hors norme, et le parcours d’un génie dont on n’a pas fini d’explorer l’héritage musical.
PS : le documentaire bénéficie de quelques projections en salles à Los Angeles, New York et Londres.
Hasard du calendrier, un entretien récent avec Joseph Williams nous apprend quelques détails intéressants sur son illustre père. Notamment le fait que sa mère Barbara, grâce à son réseau, a permis à son mari de trouver du boulot au début de sa carrière, et qu’à la maison elle chantait des morceaux que son mari avait écrits. Joseph revient sans aucune gêne sur ses addictions à l’alcool et la drogue liées en bonne partie au décès de sa mère en 1974 et à la rage qu’il a ressentie à l’époque. Et raconte qu’après être venu le repêcher au commissariat une fois de trop, John l’a mis en boarding school. Cela n’a pas empêché Joseph de se construire plus tard une carrière, notamment comme chanteur du groupe Toto, et l’on sait à quel point c’est difficile quand on est “fils de”. Bravo à lui.
Merci JC, ça donne envie de voir le doc !