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Light of my life
Cinema, musique et plus si affinités
Light of my life. JC Manuceau
15/08/202402/01/2025

Werner Herzog : au bout de l’obsession

Ni journal intime, ni carnet de bord, Conquête de l’inutile (paru chez Capricci en 2008) est avant tout une plongée dans le cerveau en ébullition d’un artiste en pleine dérive, avalé par un monde hostile où la beauté côtoie la violence, où l’horreur et la souffrance vont de pair avec l’entraide et le salut de l’âme. Dérive car cette préparation du tournage de Fitzcarraldo (1982) s’avère bien plus complexe que prévu. Tout ce qui pouvait mal se passer se passe mal. Si le réalisateur allemand peut s’appuyer sur son expérience passée d’Aguirre, la colère de Dieu, tourné en Amazonie au début des années 1970, ce nouveau film représente un défi bien plus difficile. Il raconte l’histoire de Brian Sweeney Fitzgerald (joué par Klaus Kinski), qui se fait appeler « Fitzcarraldo », passionné d’art lyrique, qui rêve de construire un opéra à Iquitos, en plein milieu de la forêt péruvienne. Pour financer son projet, il achète une concession sur le río Ucayali afin d’exploiter l’hévéa, l’arbre à caoutchouc, se procure un bateau auprès d’un concurrent et recrute un équipage. La concession se trouvant sur le cours supérieur de l’Ucayali et étant inaccessible par voie fluviale vu la présence de rapides infranchissables, sachant que les deux cours d’eau ne sont séparés que par une colline, l’idée folle de Fitzcarraldo est de déboiser un passage à travers la colline et d’y hisser le bateau pour rejoindre l’Ucayali par l’autre versant.

Pour tourner cette séquence, Herzog décide de faire passer le bateau au-dessus de la colline pour de vrai, ce qui présente une difficulté énorme. Sans parler de la guerre entre le Pérou et l’Équateur, le désistement en cours de tournage des deux acteurs principaux (Jason Robards et Mick Jagger), d’accidents divers… Le tournage est l’un des plus laborieux de l’histoire du cinéma. Mais c’est surtout le combat d’un homme pour atteindre son objectif, pour aller au bout de son obsession envers et contre tous. Et pour faire un cinéma qui lui ressemble. L’approche strictement documentaire, voire anthropologique, ne l’intéresse pas. Il cherche à faire jouer les indigènes, tout en captant leur mode de vie ancestral.

Écrit sur des petits carnets dans une écriture minuscule, le récit d’Herzog déborde largement le cadre d’un récit de tournage pour mettre des mots sur une expérience transcendantale, le « délire de la jungle », le combat futile et pourtant existentiel d’un homme contre les forces de la nature. Il désigne celle-ci comme une « création divine non terminée ».

(Image ci-dessus extraite d’Ennemis intimes, 1999)

Conquête de l’inutile est avant tout une œuvre littéraire hors du commun, admirablement écrite et passionnante à lire. On y découvre des phrases comme celles-ci : « Des flocons d’écume blancs et purs dérivent doucement sur les flots et ils le feront encore longtemps après notre départ, quand il ne restera plus un homme sur terre, mais seulement des insectes » (page 278), ou encore : « Je ne sentais plus mes pieds ensanglantés. Le bateau m’était égal, il n’avait pas plus de valeur que n’importe quelle bouteille de verre brisée dans la gadoue, ou que n’importe quel câble d’acier dans la boue. Il n’y avait aucune douleur, aucune joie, aucune excitation, ni aucun soulagement, aucun sentiment de bonheur, aucun bruit et aucune respiration profonde. Il y avait uniquement la perception d’une grande inutilité, ou plus exactement j’étais juste profondément absorbé dans un monde plein de mystères » (page 325).

S’il est logiquement hautement recommandable de (re)voir Aguirre, la colère de Dieu (ci-dessus) et Fitzcarraldo (tous deux disponibles sur MyCanal en ce moment) pour compléter cette lecture essentielle, on prolongera aussi le plaisir avec le documentaire tourné par Les Blank sur le tournage du second (Burden of Dreams, 1982), ainsi qu’avec le film d’Herzog Ennemis intimes (1999), hommage très émouvant rendu par le réalisateur à Kinski (qu’il considère comme « égomaniaque »), son acteur fétiche aux crises de nerfs légendaires, avec lequel il a tourné cinq films malgré une relation des plus orageuses.

Pour conclure, citons Herzog : « Je fais des films parce que je n’ai rien appris d’autre. Nous devons être articulés, sinon, nous serions des vaches dans un champ. »

A lire aussi : Werner Herzog sans filtre

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Werner Herzog, écrivain avant tout →

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