J’avais raté cet entretien passionnant de Piers Morgan avec Werner Herzog, sans doute un des grands cinéastes de notre temps (sa phrase “Barbie est un pur enfer” avait fait le buzz). Décontracté et affable, hors promotion (même si sa récente autobiographie est mentionnée), il aborde divers sujets d’actualité et revient sur certains épisodes extravagants de sa vie mouvementée.
A la question idiote de savoir quel est le meilleur film de l’histoire du cinéma, Herzog ne perd pas ses moyens et évoque la Trilogie d’Apu de Satyajit Ray et Rashomon de Kurosawa.
Sur la cancel culture et les abus subis par la fille de Klaus Kinski, il sépare l’homme “monstrueux” de l’artiste qui a fait “des choses extraordinaires”. Puis, il répond en posant deux questions à ceux qui défendent la cancel culture : “Seriez-vous prêts à enlever tous les tableaux du Caravage des musées et églises parce que c’était un meurtrier ?” puis “faut-il ne plus lire le Vieux testament, notamment le livre de Moïse, car ce dernier a commis un meurtre ?” Toutefois, il ne trouve pas que des mauvais côtés à cette tendance, citant le fait que le climat des plateaux de tournage a changé pour le meilleur. Sur la question de la culture woke et de son impact sur Hollywood (le présentateur cite l’exemple de la version live de Blanche neige et les sept nains dont le tournage ne peut avoir lieu), Herzog souligne l’absurdité des “coordinateurs d’intimité”, et indique qu’il n’a jamais été confronté à ce genre de problème vu que ses films ne contiennent pas de scène de sexe et quasiment pas de scènes de baisers. Et ajoute : “Si vous voulez vraiment voir une scène de sexe, regardez un film porno.” Concernant le cahier des charges de la diversité imposé maintenant aux réalisateurs aux États-Unis, il pense que la poussière finira par retomber et que la situation trouvera son équilibre.
Concernant les blockbusters comic book à la sauce Marvel, Il est d’accord avec Martin Scorsese pour dire que ce n’est pas du vrai cinéma tout en précisant qu’on ne doit pas sous-estimer le pouvoir qu’ont ces films de s’adresser directement à notre imaginaire collectif.
Il aborde la relation de ses parents avec le Nazisme, dont l’apparition dans son pays ne lasse pas de le questionner, et face auquel il dit qu’il faut endiguer les vagues de barbarisme très tôt. Il parle “d’opportunités ratées” avec la Russie tout en s’élevant contre la guerre et la politique de Poutine.
Sur une note plus anecdotique mais savoureuse, il reconnaît qu’il a mangé une chaussure un jour à cause d’un pari perdu et qu’il a risqué sa vie en s’approchant trop près du cratère d’un volcan en éruption. Enfin, il s’élève contre la colonisation de Mars, qu’il trouve absurde, tout en s’estimant très intéressé à l’idée d’y aller pour filmer.
Enfin, quand l’intervieweur aborde la question de la trace qu’il aura laissée dans notre culture, il s’avoue modeste et indique simplement sa volonté d’être “un bon soldat du cinéma”.
En dehors de donner envie de revoir tous ses films, ce qui est déjà beaucoup, cet entretien sans filtre laisse affleurer une parole réelle et sincère, pleine d’esprit, d’humour et d’intelligence. Vive Herzog !