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Light of my life. JC Manuceau
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Light of my life. JC Manuceau
Light of my life
Cinema, musique et plus si affinités
Light of my life. JC Manuceau
14/12/202514/12/2025

Arnaud Toulon : « L’optimisme du film m’a inspiré »

L’heure des bilans 2025 approche et il y a un film qui figurera en bonne place dans le mien : Arco d’Ugo Bienvenu. Sortie le 22 octobre dernier, cette histoire d’amour et de voyage dans le temps s’est faite remarquer à Cannes avant de remporter le grand prix au festival d’animation d’Annecy (le film est toujours en salles). Visuellement somptueux, Arco bénéficie aussi d’une musique thématique et orchestrale d’une grande beauté du jeune compositeur Arnaud Toulon, qui signe ici son premier long-métrage. J’ai eu envie d’en savoir plus sur la conception de la BO et sur le parcours d’Arnaud, dont les compositions enchantées ne font que commencer à sublimer nos oreilles.

Comment êtes-vous devenu compositeur de musique de film ? Quel est votre parcours ?

J’ai commencé en étudiant le son, la post-production audio, à l’école Louis Lumière. C’était un apprentissage qui était plus axé du côté montage-son, mixage, donc tout ce qui est effets sonores, bruitage, etc, pas forcément musique. J’avais de mon côté une formation de musicien, surtout en autodidacte, j’avais pris quelques cours de piano quand j’étais très jeune mais j’avais entretenu une pratique musicale pendant très longtemps, principalement au piano et à la guitare, et j’étais passionné de musique de film. Grâce à l’apprentissage en post-prod audio, j’ai été appelé sur différents projets pour travailler sur la partie son. Dès que l’occasion se présentait sur ces projets de mettre de la musique, je la saisissais, j’essayais de suggérer des choses aux réalisateurs et petit à petit, je finissais par travailler plus en tant que musicien sur des projets.

(crédit photo ci-dessus : Jean-Baptiste Monteil)

La rencontre qui a été la plus importante pour moi, c’est celle avec Ugo et Félix. Ugo Bienvenu qui a réalisé Arco, et Félix de Givry, qui est co-auteur et producteur du film. Ils ont monté un studio qui s’appelle Remembers, où ils produisent plein de projets d’animation. Comme j’étais proche de Félix au moment où ils montaient le studio, dès qu’il y avait besoin de son ou de musique pour les projets du studio, c’était moi qu’ils appelaient. Ça pouvait être parfois juste mettre une ambiance sonore au début d’un clip par exemple, pour de la musique sur une pastille publicitaire, ou pour mettre en musique des séries en format court pour Canal+, des choses comme ça. C’était à chaque fois des formats différents, des formes différentes, des postes différents, et des styles de musiques différents qui m’ont permis de me faire la main. C’était une super école parce qu’il y avait beaucoup de volume de travail, ça permettait de se confronter à différents styles, d’identifier l’endroit musical où j’aimais évoluer, et où on aimait bien collaborer avec Ugo. Il y a eu des projets comme des publicités pour Hermès puis pour Chanel, sur lesquels on devait trouver une esthétique musicale qui nous plaisait à tous, une musique qui mélangerait à la fois des influences classiques et des textures plus modernes, de la synthèse, de la musique séquentielle.

Juste pour que je comprenne bien : ces projets-là, c’était à chaque fois de l’animation ? Il n’y avait pas, en fait, de projet en prise de vue réelle ?

Il y en a eu par la suite un peu de mon côté mais je pense que c’est principalement l’élan de cette collaboration avec Ugo et Félix qui donnait de la visibilité à mon travail, et qui amenait d’autres propositions ces dernières années. À côté de la collaboration avec Remembers, il y a eu des séries courtes, notamment documentaires. Il y a eu une collaboration avec un chorégraphe pour un projet de danse contemporaine, mais ces projets-là sont restés relativement confidentiels comparé à Arco, qui était à la fois le projet le plus ambitieux en termes de création musicale, et un film qui a en plus une certaine visibilité.

Donc si je comprends bien, vous avez vraiment un parcours d’autodidacte, au niveau musical.

Oui, principalement.

Vous n’avez pas pris de cours de musique ?

J’avais pris des cours de piano pendant deux ans, quand j’avais de 8 à 10 ans. Et ensuite, j’ai arrêté la musique pendant un moment, et je m’y suis remis quand j’étais adolescent, à la guitare, pour faire des reprises de groupes de rock, des choses comme ça.

Et vous n’avez pas continué le piano ?

Pas les cours en tout cas, c’était presque un geste d’émancipation d’arrêter, à l’époque.

Parce que c’est vos parents qui vous poussaient à…

Voilà, c’est les parents qui poussaient à une formation plutôt académique. Dès que j’ai eu la latitude suffisante pour leur dire que j’avais envie d’arrêter, je l’ai fait, et j’y suis revenu plus tard de mon côté, vraiment pour le plaisir. Et je jouais beaucoup, mais même quand je jouais, j’essayais de… Comment dire ? J’essayais d’avoir un rapport assez analytique avec la pratique instrumentale, j’essayais quand même de comprendre musicalement ce que je faisais.

Vous aviez appris le solfège ?

J’avais appris à déchiffrer des partitions, même si je le faisais assez lentement. Après, c’était plus un apprentissage par gamme et par mode, où j’apprenais en jouant des gammes blues au piano, en jouant des morceaux de jazz, en essayant d’improviser, en essayant de comprendre comment est-ce que les modes interagissent entre eux, souvent par moi-même, de temps en temps en allant chercher de la théorie dans des livres, sur Internet. Mais toujours en complément d’une pratique instrumentale ludique en tout cas.

Est-ce qu’il y a des compositeurs qui ont été importants dans votre parcours ? Vous étiez cinéphile déjà quand vous étiez jeune ?

Cinéphile, oui complètement, et sensible à la musique de film particulièrement. Mais je pense qu’il y a un peu une distinction entre la musique que j’écoute de mon côté, pour moi, et la musique avec laquelle je suis à l’aise dans le travail. De mon côté, j’écoute pas mal de musique électronique. En compositeur de film, j’écoute des gens comme Johnny Greenwood, Mica Levi, des gens comme ça, mais ce n’est pas forcément la musique que j’ai envie de composer, mais c’est la musique que j’écoute pour le plaisir. Et après, il y a tous les films que j’ai vus pendant mon enfance, tous les John Williams, Joe Hisaishi, Howard Shore, Wojciech Kilar, tous ces gens-là, ils ont quand même vraiment contribué à me former une oreille musicale aussi. Je regardais Le Seigneur des Anneaux en boucle quand j’étais adolescent, et je me suis rendu compte presque après coup, sur Arco, à quel point ça avait modelé mon oreille, et à quel point il y avait des associations d’accords, des gammes, même des couleurs mélodiques, qui appartenaient un peu au terrain d’Howard Shore, qui est assez proche de celui de Wojciech Kilar aussi, je pense.

Vous avez appris tout seul, vous avez commencé à composer tout seul. Avec des machines, ou plutôt avec des instruments, piano, guitare ?

Sur les premiers projets, j’essayais de me cantonner strictement aux instruments que j’avais, de toujours tout enregistrer, j’avais un peu une réticence à laisser trop de VST, d’instruments virtuels, dans les morceaux terminés. Donc j’essayais de tout enregistrer, d’être un peu indépendant avec mon petit home studio, de me limiter aux instruments que j’avais sous la main. Du coup, c’était un mélange de piano, du Fender Rhodes. J’avais quelques synthétiseurs, une guitare, un saxophone, et une clarinette que j’avais empruntée à mon père, et je me suis longtemps cantonné à ces instruments-là.

Et là, ces derniers temps, ce sont des démos orchestrales que je fais avec des instruments virtuels, et qui sont amenées ensuite à être retravaillées avec un ensemble, et j’enregistre de moins en moins moi-même avec mes instruments.C’est déporté à l’endroit du studio, maintenant, avec d’autres musiciens.

Et vos parents, ils vous ont encouragés quand vous avez choisi cette voie-là ?

La voie du cinéma, oui et non. S’ils m’ont encouragé, je ne sais pas. On ne m’a pas poussé dans ce chemin-là mais ils n’ont pas lutté contre non plus. La chance que j’ai eue par contre, c’est sûrement d’avoir deux parents vraiment mélomanes et musiciens. Mon père jouait du saxophone et de la clarinette, ma mère jouait du piano, de la guitare, elle chantait. Ça a aidé à la fois de pouvoir accéder à des instruments qui étaient dans notre appartement et de pouvoir entretenir un rapport ludique avec eux, de ne pas forcément avoir un rapport académique, un rapport d’apprentissage. Là je pouvais juste les emprunter et jouer avec, pour mon plaisir personnel. Le fait qu’ils soient tous les deux mélomanes a aidé à se construire une culture musicale aussi, mon père avait une culture très jazz, ma mère plutôt une culture classique.

Je pense qu’on a vraiment l’oreille modelée par ce qu’on a entendu pendant l’enfance. Pour moi, c’était un mélange notamment de ces deux choses-là. Par eux, de la musique de film aussi, un petit peu. Ils écoutaient beaucoup la musique de Solaris de Cliff Martinez aussi, qui est une BO que j’adore et qui a été aussi une influence, notamment sur Arco.

Venons-en à Arco. Le projet a été long à voir le jour c’est ça ?

La genèse du projet, c’était pendant le confinement. Ugo passe son temps à dessiner. Et à un moment, il a dessiné ce garçon arc-en-ciel et s’est dit qu’il pourrait voyager dans le temps à travers les arcs-en-ciel. L‘idée de base était donc presque plus visuelle que narrative. C’était ce garçon arc-en-ciel qui voyage dans le temps. Et l’idée qu’il se retrouverait bloqué à une époque qui n’est pas la sienne. Voilà, la toute première fois que j’ai entendu parler du projet, c’était Ugo qui m’appelait pour me dire ça.

Ils ont travaillé avec Félix de Givry au développement du scénario. Mais une fois de plus, vu que Ugo, c’est quelqu’un qui est surtout à l’aise avec le dessin et qui vient à la base du milieu de la bande dessinée, et il avait un peu une espèce de lassitude qui se mettait en place, à refaire 18 nouvelles versions du scénario. Il avait le sentiment que les personnes à qui il présentait le film avaient du mal à se projeter donc ils ont fait le pari avec la boîte de production de commencer à développer une animatique, qui est une sorte de storyboard en mouvement, d’animation assez rudimentaire.

ll y a quelque chose qui est assez important, c’est que la boîte de production préexistait au projet. Il y avait déjà un studio d’animation assez actif avant ce film. Du coup, il y avait les moyens pour mettre en œuvre quelque chose, pour mettre ce projet-là en mouvement. À la fois des moyens financiers, parce qu’ils avaient un peu des fonds dans la boîte, mais surtout il y avait déjà une équipe. Le studio était déjà structuré. Il y avait déjà des animateurs, des gens talentueux qu’ils connaissaient et sur lesquels ils pouvaient compter.

Et pendant toute cette période-là, à partir du premier coup de fil début 2020, pendant les moments où ils développaient le scénario, pendant les premières versions de l’animatique, on s’appelait régulièrement, pour échanger sur des idées narratives et esthétiques. Moi, dès l’étape du scénario, je commençais à essayer de faire des petites maquettes musicales, de lui envoyer des suggestions de thèmes, de couleurs orchestrales. Il y avait déjà un ping-pong qui était mis en place très tôt là-dessus. Et au moment où ils ont fait le pari d’investir via la boîte de production dans le développement de l’animatique, moi, dès qu’ils avaient trente secondes finalisées, je mettais du son et de la musique dessus.

Et eux, ils se servaient de ça pour aller toquer à la porte de potentiels collaborateurs pour essayer d’envoyer de l’énergie, des financements dans le projet et de le faire avancer. Au moment où on avait à peu près la moitié de l’animatique qui se dessinait, ils ont montré le film à Sophie Mas et à Natalie Portman, qui ont aimé le projet et ont rejoint l’aventure.

À ce moment-là, on était déjà tous très impliqués dans le développement de ce projet-là, on avait tous envie que le film voie le jour. Et une fois qu’elles étaient arrivées, peut-être que dans la tête de l’équipe, ça passait de « on espère que ça va se faire » à «ok, ça va se faire ». Ça n’a pas complètement changé la manière dont on abordait le travail mais c’était rassurant. Plus ça avançait, plus on se disait que ce film va vraiment exister.

Le thème principal a été composé à quel moment ?

Toutes nos discussions avec Ugo donnaient naissance à diverses idées théoriques qui servaient à mettre la composition en mouvement. Une d’entre elles était à un moment de faire un thème par personnage. On a essayé de le faire, mais le film n’est pas assez long pour pouvoir développer chacun des thèmes, ça faisait trop de diversité. Du coup, on a réduit le nombre de thèmes à trois. Il y en avait un qui est associé au monde d’Arco, un qui était associé au monde d’Iris, et un dernier qui était une sorte de thème d’amour, qui pouvait suggérer une histoire d’amour naissante entre les deux personnages.

Pendant longtemps, le thème associé à Arco était différent de ce qu’on entend dans le film. Les choses se sont débloquées en trouvant le thème d’Iris, presque par accident. J’avais fait un morceau pour tout le passage où ils sont en train d’aller à l’école en scooter. J’avais le début et la fin du morceau et il fallait quelque chose au milieu pour raccorder les deux bouts. J’avais composé un passage qui était du coup pour moi une espèce de petite digression musicale sur ce morceau. Et au moment où je l’ai envoyé, Ugo et Félix me disaient presque à l’unisson que ce passage-là, c’était le thème d’Iris.

Et le thème d’Arco, qu’on entend pendant l’intro et les envols, s’est construit en réaction à ce thème-là. Le thème d’Iris avait une teinte assez mélancolique et un peu minimaliste. Je me disais que le thème d’Arco pourrait être une version optimiste, plus bavarde mélodiquement, avec un discours musical un peu plus riche.

Les trois thèmes se sont développés comme ça, petit à petit, et les trois thèmes s’influençaient les uns les autres en évoluant.

Par la suite, ils ont commencé à développer l’animation elle-même. Là, vous continuez à travailler. Et l’enregistrement, il s’est fait quand ? Une fois que le film était terminé ?

Tout s’est fait vraiment à la fin. J’ai travaillé pendant très longtemps avec les maquettes orchestrales sur l’ordinateur. Ce qui n’est pas toujours agréable, parce que les orchestres numériques ne sonnent pas très bien, ça ne rend pas forcément honneur à la musique.

C’était mon premier film, et je crois que là où j’ai passé le plus de temps était à donner de la cohérence à l’ensemble de la bande-son. Je pense qu’à l’origine j’abordais le travail un peu naïvement, en me disant que je pouvais faire s’enchaîner une suite de scènes différentes. Sauf que si une scène fonctionne individuellement, ça ne veut pas forcément dire qu’elle fonctionne avec le reste du film. Je pense que là où des compositeurs peut-être plus aguerris passeraient moins de temps, c’est à mieux anticiper ce travail de zoom/dézoome : on zoome sur la scène et on dézoome pour regarder comment elle s’intègre dans l’arc narratif du film. Et j’ai passé beaucoup de temps à faire ça, à retravailler inlassablement pour essayer de donner une uniformité, une cohérence à tout le discours musical.

La cohérence, on la voit dans le film, elle est là. J’imagine qu’il y a beaucoup de travail derrière.

Il y a eu quelques projections où je sortais de la salle et je me disais : « J’ai fait n’importe quoi, je passe du coq à l’âne musicalement, et il va falloir vraiment faire un travail de synthèse. » Le luxe de ce film, vu que l’animation prend beaucoup de temps à se faire, c’était aussi d’avoir le temps d’essayer des choses, d’essayer des directions qui s’avéraient être des impasses, de revenir en arrière. Je pense que si on ne m’avait appelé qu’à la fin de la production et qu’on m’avait dit « tu as trois mois pour faire la bande-son de ce film », je ne sais pas si j’aurais eu le sentiment d’avoir fait quelque chose d’aussi abouti.

En fait, vous avez travaillé un peu comme travaille Hisaishi avec Miyazaki, c’est-à-dire que vous avez commencé à composer dès le début de la conception du film, et votre musique a dû aussi un peu influencer les animateurs.

Oui, ce qui était agréable en étant impliqué aussi tôt, c’est qu’il y a certaines scènes qui se modelaient aussi autour de la musique. La scène où ils vont en scooter à l’école par exemple, avait été composée sur scénario, et ils ont construit leur découpage ensuite autour de la musique, ce qui était très agréable pour moi. Et tout le final du film, qui paraît être un moment de conclusion dans la composition, était en fait un morceau que j’ai composé assez tôt sur l’animatique. Je l’avais envoyé en suivant les moments-clefs du story-board, et ils ont retravaillé le rythme de la scène autour du développement musical.

Là, vous parlez de quelle scène exactement ? Tout le final. Le générique ?

Des retrouvailles avec les parents et le départ d’Arco. Et les enregistrements, c’était vraiment tout à la fin.

Et l’idée de faire appel à un chœur ?

Ça, c’était vraiment dès la toute première conversation qu’on a eue avec Ugo au téléphone pendant le confinement, quand il m’appelle pour me parler de cette idée du garçon arc-en-ciel qui voyage dans le temps. L’idée du chœur, on l’a eue dans le même coup de fil. Ugo me disait qu’il voulait que ce soit une musique qui soit plus de l’ordre de l’évocation spirituelle que du conte fantastique ou de la magie. Il me disait que ça serait de la science-fiction mais qu’il n’avait pas envie que ça essaye de sonner futuriste. Qu’au contraire, vu qu’Arco et ses parents voyagent dans le temps, il faut que ce soit le plus intemporel et le plus universel possible. Et on se disait : il n’y a rien de plus intemporel que la voix humaine. Quelle que soit l’époque, quelle que soit la géographie, on a fait de la musique avec la voix. Et on associe aussi beaucoup les chœurs à la liturgie, à la pratique religieuse. Ça nous semblait avoir du sens. Et à la base, il me semble qu’Ugo voulait même que toute la musique du film ne soit que du chœur. On a un petit peu essayé, mais ça donnait un ton beaucoup trop religieux et christique. Ça n’allait pas.

La séquence de début, c’est une chute. Et donc la question se pose, comment illustrer ça ? Comment traduire ça en musique ?

On avait envie que la musique porte la scène du vol, qu’il y ait une espèce d’élan mélodique, presque un peu désuet. On adore avec Ugo toutes ces BO des années 1980-90 qui étaient hyper lyriques et mélodiques et où on s’autorisait à être très expansif et premier degré musicalement.

Ça, c’était plus pour les envols, sur la question de la chute, par contre, et pour illustrer le voyage dans le temps, on se disait qu’il fallait vraiment qu’on essaye de donner un vertige avec les voix. Le même style de vertige qu’on pouvait avoir en écoutant le Requiem de Ligeti, avec toutes ces accumulations de voix, ce qu’on appelle des clusters, des accords très resserrés, presque dissonants. On se disait qu’il y avait quelque chose à explorer de ce côté-là, on a essayé d’accentuer en renforçant ces clusters de voix par des cuivres et des vents pour leur donner de l’ampleur et du coffre.

Vous avez mentionné des films des années 1980-90, vous avez lesquels en tête ?

Il y avait la référence à E.T. L’extraterrestre (1982) un peu, même pour la structure de l’histoire, où il y a un personnage qui vient d’ailleurs et qui se retrouve bloqué hors de son monde. Ugo m’avait fait écouter des BO qu’il aimait bien, du Hans Zimmer période Le Dernier samourai (2003), Casper (1995) de James Horner aussi. Je pense qu’on se savait avec Ugo suffisamment fans de Miyazaki et d’Hisaishi pour ne pas chercher à se le donner en référence. Je pense qu’on essayait presque d’esquiver la référence parce que même sans y penser, on savait que ça allait être là.

Ce sont les références qui me viennent en tête mais on n’a pas tant échangé de musique que ça avec Ugo. On a mis quelques morceaux temporaires à certains moments mais très peu, juste quand il allait y avoir une projection et qu’un passage ne pouvait pas rester vide avant que j’aie eu le temps de trouver une musique pour ce passage. Dans nos discussions, on parlait plus d’atmosphère, de couleurs orchestrales, on parlait de sentiments, pas forcément des envois de morceaux ou de références.

De mon côté par contre, j’ai beaucoup consommé de musique pendant la composition d’Arco, mais j’essayais volontairement de ne pas trop aller écouter de musique de film. Parce que je voyais bien que les compositeurs que j’aimais, que ce soit Williams, Hisaishi, Shore, Kilar, etc., avaient déjà digéré beaucoup de musique du répertoire classique. J’essayais plus d’aller faire ce chemin-là, d’essayer de comprendre quelle synthèse eux-mêmes avaient fait de la musique du répertoire, et d’essayer d’aller faire moi-même ma propre synthèse. Et pas essayer de re-digérer leur synthèse à eux, parce qu’au bout d’un moment, j’imagine qu’on perdrait un peu en matière.

Vous avez plutôt écouté de la musique classique ? Des compositeurs du XXe siècle ?

Franchement, ça a été très large. Du baroque à maintenant. Il y avait du Ligeti pour les voix, du baroque pour certains mouvements de cordes et certains ostinatos de cordes. Il y avait des morceaux comme les Danses symphoniques de Rachmaninov pour les moments un peu plus rythmés, un peu plus action. Mozart aussi pour les chœurs, le Requiem de Fauré, des choses comme ça. J’aurais même du mal à tous les citer, il y a eu une consommation de musique assez frénétique pendant toute cette période.

Et ensuite, comment s’est passé l’enregistrement ? Est-ce que c’est vous qui avez dirigé l’orchestre ?

En fait, avant l’orchestre, on a commencé par enregistrer certains musiciens en individuel. De la harpe, plein de claviers différents, du Fender Rhodes, du Wurlitzer, des pianos… Du Cristal Baschet aussi, beaucoup. On ne voulait pas que la musique sonne trop futuriste, mais on avait quand même envie que l’orchestre soit soutenu par des textures peut-être plus modernes. Et du coup, on a commencé par enregistrer un peu toutes ces couches qui venaient en soutien. On l’enregistrait avant pour des questions pratiques.

Et donc, comme je disais, du Cristal Baschet mais aussi plein de synthétiseurs, des ondes Martenot, des percussions, de la batterie, des maillets, marimba, vibraphone.

On a bien réfléchi au choix du chœur également. À un moment, on pensait à des chœurs en France, mais les références qu’on trouvait sonnaient vraiment chorale d’église. À un moment, on pensait à du chant grégorien, mais on s’est dit, ça n’allait pas sonner si universel que ça, ça va évoquer quelque chose de plutôt médiéval et daté. On a pensé à des chœurs plus modernes, mais ça faisait un peu gospel, et XXe siècle. Pareil, ça n’aurait pas teinté le film de la bonne couleur. Et au bout d’un moment, grâce à l’ingénieur du son qui a produit la musique, on a trouvé un chœur de chanteurs orthodoxes ukrainiens qui avaient la couleur parfaite pour le film.

Et on a fait deux sessions d’enregistrement avec eux, ce qui se faisait à distance parce qu’on n’a pas pu se déplacer pour être là avec eux. Et ils étaient vraiment incroyables.

Ils se sont enregistrés en Ukraine ?

Non, c’est un chœur qui se déplace en Europe. Et là, la première session, c’était dans une église, je ne sais même plus dans quelle ville ils étaient. La seconde, ils étaient dans un studio à Vienne et on a fait ça à distance, comme si on le faisait sur Zoom.

Ça doit être particulier de faire ça à distance.

Le fait que ce soit à distance, via un ordinateur, avec des Ukrainiens, en parlant anglais, il y a quelque chose dans la communication qui n’est pas super fluide au départ. Mais en même temps, le chœur était tellement doué et le chef de chœur comprenait tellement bien la musique. Ça c’est vraiment très bien passé.

Et à l’issue de toutes ces sessions d’enregistrement, on a enregistré avec l’orchestre. On n’a pas pu enregistrer tous les musiciens en même temps, du coup on a enregistré chacun des pupitres séparément. On a fait une session avec 24 cordes, une session avec 8 vents, 8 cuivres, et une autre session à 10 cordes pour des moments qu’on voulait un peu plus intimes.

Et après, vous avez mélangé ça au mixage, c’est ça ? Ça doit être un sacré travail.

Le mélange de toutes ces couches-là, avec toutes les préoccupations de justesse, c’était un travail d’édition et de mixage qui a été assez considérable oui.

C’est pour des raisons budgétaires que vous n’avez pas fait quelques sessions avec un orchestre ?

À la fois pour des questions de budget mais ça nous permettait aussi, en ayant la main sur les pistes en séparé, de faire certaines options de traitement qui nous intéressaient.

Et comment est-ce qu’on travaille sur la musique d’un film d’animation par rapport à un film en prise de vue réelle ?

Arco est mon premier film, donc je n’ai pas complètement l’élément de comparaison. L’impression que j’ai, c’est que l’animation supporte quand même beaucoup de musique. Elle appelle presque la musique. Vu que le médium est de base un médium synthétique, c’est des calques qui se superposent les uns aux autres, j’ai l’impression que la musique participe à donner de la vie et de la crédibilité à ce monde-là.

En tout cas ce que je peux dire sur l’animation, c’est que chaque étape, il y avait une redécouverte. Quand je travaillais sur l’animatique, c’est une version qui est en noir et blanc, tout en nuances de gris, et dès qu’ils ajoutaient du décor, dès qu’ils ajoutaient de la couleur, ça me faisait super bizarre, parce qu’au moment de l’animatique, je me projetais dans une ambiance de ce que ça allait être qui se heurtait ensuite à la réalité.

Je pense que quand on travaille sur un film en prise de vue réelle, on est tout de suite plus proche de ce à quoi ça va ressembler, alors qu’en animation, il y avait une part d’imagination. Rien que l’apparition de la couleur et l’apparition des décors plus aboutis, ça donne envie de faire des changements d’orchestration, des changements d’équilibre dans les instruments.

Parlons un petit peu de la chanson finale que j’adore. Comment ça s’est passé ? Qui a eu l’idée de faire appel au groupe November Ultra ?

Alors, on savait que le final du film allait laisser une certaine tristesse, vu qu’Arco part avec ses parents, laisse Iris seule dans ce monde dévasté par l’incendie. Je pense que la majeure partie de la musique du film est assez mélancolique. C’était Ugo qui nous disait qu’il voulait terminer le film avec un câlin aux spectateurs, une musique qui leur dirait « ça va aller ». On s’était dit que ça serait chouette de faire un morceau presque pop, qui dénote avec le style musical du reste du film, et qui soit un câlin, une forme de célébration finale pour accompagner le spectateur.  On espérait même faire chanter un gospel avec un chœur d’enfants sur le morceau.

Pendant la fabrication d’Arco, le studio Remembers avait produit un clip pour November Ultra. Avec Ugo et Félix, on était tombé complètement amoureux de la musique et de son chant à cette occasion. On a eu la chance qu’elle accepte de venir collaborer sur le générique. On a fait une session en studio ensemble, j’avais préparé un morceau de mon côté, qui était un peu trop compliqué. Les accords changeaient tout le temps, il n’y avait pas vraiment d’endroit où la voix pouvait se placer facilement. On l’a simplifié ensemble, je lui jouais les accords en boucle à côté d’elle, elle cherchait des paroles, une mélodie, moi je m’adaptais un peu en réaction à ce qu’elle trouvait. On a enregistré dans la foulée, tout s’est fait en une journée dans un studio. J’ai retravaillé toute cette matière-là ensuite, mais la collaboration s’est faite très naturellement et très rapidement. J’ai été impressionné par sa rapidité à trouver des paroles et des idées mélodiques.

Je trouve ça vraiment génial. C’est une des chansons que j’ai beaucoup écoutées cette année. Elle est hyper synchro avec le générique parce que quand la batterie arrive, c’est là qu’il y a le fondu au noir. C’est super bien fait.

Je pense qu’une des chances que j’ai eu sur ce film, que ce soit sur ce générique, sur l’envol d’Arco et le final du film, est qu’Ugo m’offre un beau terrain de jeu où la musique allait vraiment être mise en valeur, et lui laisser la place pour attirer l’attention du spectateur. C’était génial de pouvoir occuper cette place-là, et de ne pas être cantonné à l’arrière-plan.

Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans le scénario d’Arco et qui vous a le plus inspiré ? Est-ce que c’est la perte des parents ? Est-ce que c’est cette histoire d’amour naissante entre Iris et Arco ? Est-ce que c’est la complexité du monde et le fait que la nature est en danger ?

Je crois que ce qui m’a touché, c’est la même chose qui peut me toucher dans les films de Miyazaki ou Spielberg, c’est le fait d’arriver à évoquer de sujets potentiellement durs, difficiles, mais de le faire d’une manière légère, joyeuse et simple. De parler de problématiques complexes avec un langage d’enfant et de faire tout ça avec une forme d’optimisme et d’ouverture vers le monde et vers l’avenir. Je pense que c’est ça qui, personnellement, me touche le plus, je pense, dans les films de Miyazaki, et que j’ai retrouvé ça dans Arco.

Ugo, je connaissais déjà très bien son travail avant le film. Il était à l’époque plus pessimiste, un peu à l’image d’une grande partie des histoires de science-fiction qui ont lieu dans des dystopies, où le futur est assez sombre. Le fait qu’il ait eu cette envie de produire quelque chose de plus léger, de plus optimiste, d’être plus ouvert, plus bienveillant dans son travail, ça m’a vraiment touché. Je trouvais ça super inspirant, que ce soit vis-à-vis de la production artistique ou d’une manière plus générale, dans l’envie d’évoluer avec le monde extérieur.

Depuis la sortie, vous êtes content de l’écho qu’a reçu le film ?

Oui, nous avons eu la chance d’avoir des sélections dans de supers festivals, à Cannes, à Annecy où on a eu le grand prix. En termes de fréquentation, ça marche bien. On est vraiment super contents. J’ai envie de dire que ça dépassait les espérances, mais celles-ci n’étaient ni particulièrement hautes, ni particulièrement basses. De toute façon, depuis le début, j’adorais le film. J’espérais que les gens allaient y être sensibles et ça a l’air d’être le cas. On est très contents des retombées, de toutes les sélections en festivals qu’on a eues. On reçoit beaucoup de messages super bienveillants à l’égard du film, c’est vraiment touchant.

Il a été distribué aux États-Unis ?

Oui, c’est NEON qui distribue le film, qui est un super distributeur. C’est vraiment une chance de faire ça avec eux.

Est-ce que vous avez déjà des projets en cours ?

Oui, Arco a été réalisé par Ugo et produit par Félix. Et là, je travaille sur un film qui s’appelle Adieu monde cruel, qui est réalisé par Félix et produit par Ugo. Ce n’est plus de l’animation, le film est en prise de vue réelle. Je suis en train d’arriver au bout de la composition. Ça va être un très beau film.

Sortie en 2026 ?

J’espère.

Quel est le thème ?

Ça parle d’un adolescent qui envoie des lettres de suicide à tous ses camarades de classe, mais qui ne se tue pas. Il se cache par honte, et par peur d’assumer ce qu’il a fait. Il regarde son mensonge prendre de l’ampleur et se développer autour de lui. Et il rencontre une fille qui se prend à son jeu. C’est encore un autre style. Musicalement, c’est plus proche du polar et du mélodrame, mais je suis très content de la direction musicale qu’on a trouvée.

Et après, vous espérez continuer ?

Oui, si je peux ne faire que de la musique de film, je serai très heureux. J’enverrai de l’énergie dans ce sens-là.

La BO n’est pas sortie en CD, uniquement en vinyle, c’est ça ?

Il y a eu les sorties sur toutes les plateformes et en vinyle, mais pas de sortie CD prévue, ce format circule de moins en moins.

Il y a des gens de mon âge qui y sont encore attachés.

Il y a beaucoup de gens qui me l’ont demandé et j’aurais aimé que ce soit le cas aussi, mais j’ai déjà beaucoup de chance qu’elle existe en physique avec le 33 tours.

Un grand merci à Arnaud Toulon, vivement la suite !

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