Une parenthèse, certes, mais une parenthèse enchantée. Dans la carrière pléthorique de Quincy Jones (surnommé Q), la composition pour l’écran ne dure qu’une petite dizaine d’années (1964-1972), suivie par quelques retours sporadiques. Une période courte et d’une grande richesse enfin explorée dans un livre qui vient de paraître, signé Gérard Dastugue, aux Éditions universitaires de Dijon. Intitulé Quincy Jones, compositeur d’écran, cet ouvrage retrace en détail sur cent pages le parcours atypique du compositeur de génie qui a marqué de sa patte mélodique et groovy l’histoire du cinéma.
Grâce à un travail de documentation méticuleux, l’auteur – maître de conférences à l’Institut catholique de Toulouse – livre une analyse précise et chronologique de la production du compositeur pour l’écran sans oublier au préalable d’évoquer son enfance pauvre, sa formation, et son apprentissage décisif à Paris avec Nadia Boulanger vers laquelle Lalo Schifrin l’avait dirigé.

C’est sur l’invitation de Sidney Lumet pour Le Prêteur sur gages (1964) que Q livre son premier score pour un film de fiction d’envergure. Si le livre aborde comme il se doit les partitions les plus connues du compositeur (De sang froid, Dans la chaleur de la nuit, L’or se barre…) ainsi que ses contributions pour la télévision, il ne manque pas d’évoquer la participation musicale méconnue de Q aux films d’animation réalisés par John Hubley, un ancien animateur Disney qui avait monté son propre studio et créé notamment M. Magoo.
Finement choisies, les citations permettent de mettre en perspective la production du compositeur, de comprendre son état d’esprit, et d’apprécier comment il a réussi à s’imposer, en homme de couleur, dans une profession de Blancs. En 1961, Quincy Jones devient le premier afro-américain à se hisser au poste de vice-président d’un label musical important, en l’occurrence Mercury. En 1971, il est également le premier compositeur noir à diriger l’orchestre lors de la cérémonie des Oscars, un symbole pour la communauté afro-américaine.
Pour Q, la musique de film était avant tout un formidable terrain d’expérimentation. Après la décennie dorée des années soixante, émaillée de succès éclatants mais aussi teintée de la déception de ne pas avoir gagné l’Oscar pour De sang froid en 1967, Q met fin à sa carrière pour le grand écran en 1972, après deux ultimes films sur lesquels il remplace d’autres compositeurs au pied levé. « Un piège allait se refermer, je ne voulais pas devenir distributeur automatique de partitions pour Hollywood. J’avais le sentiment intime d’avoir atteint mes limites dans cette discipline… que j’ai pourtant aimée à la folie », a-t-il déclaré (p. 76).

Par la suite, Q reviendra au grand écran uniquement pour des projets qui lui tiennent à cœur, que ce soit pour The Wiz en 1978, ou La Couleur pourpre en 1985. Gérard Dastugue souligne son apport à la musique et à la culture en général. Je cite l’auteur : « Dressant un pont entre musiciens et genres musicaux, désenclavant et fusionnant, il participe d’une connexion humaniste entre citoyens d’un monde qui peuvent prendre conscience du langage commun qui les anime. » (page 91).
Au final, Gérard Dastugue dessine, grâce à cet ouvrage synthétique et d’une lecture agréable, un portrait réussi de ce compositeur défricheur et passionnant, et donne une furieuse envie de se replonger dans les scores du grand Q.
Avec comme point de départ son amour du jazz, le compositeur a contribué au grand renouvellement de la musique de film hollywoodienne et à son hybridation vers le R&B, le funk, la bossa nova… au même titre que Lalo Schifrin*, autre grand adepte de la fusion mélodique.
Notons enfin qu’un coffret dédié à la production pour l’écran de Q a été édité en 2016 dans la collection Écoutez le cinéma.
* on apprend d’ailleurs avec délectation que Q devait composer la BO de Bullitt (1968) mais qu’il a dû laisser sa place au compositeur argentin pour des raisons de santé.