Volontairement affirmatif, le titre de cet article ne devrait pas causer de polémique, tant le fait est communément admis. Vingt-deux ans séparent L’Invasion des profanateurs de sépultures version Don Siegel (1956) de L’Invasion des profanateurs version Philip Kaufman (1978), le titre original (Invasion of the Body Snatchers) n’ayant pas besoin lui de cette correction justifiée mais tardive.
Bijou de la SF d’horreur, la version Siegel adaptait un roman de Jack Finney paru en 1954, soit pile au moment où le maccarthysme prenait fin avec la motion de censure contre McCarthy déposée par le sénateur républicain Ralph Flanders. Avec son histoire d’un virus extra-terrestre qui s’empare des habitants d’une petite ville pour cloner leurs corps et les transformer en êtres dénués d’émotions, certains y ont vu une métaphore de l’apathie des États-Unis face à cette période de chasse aux sorcières. Pour le producteur Walter Mirisch, c’était simplement un thriller. Chacun se fera son avis.
Réalisée par un Philip Kaufman âgé aujourd’hui de 87 ans, la version 1978 se décale sur la forme mais pas sur le fond : tournage en couleurs, action située dans une grande ville (San Francisco), personnage principal inspecteur de la santé plutôt que médecin…
Dire que la mise en scène de Kaufman est inspirée est un euphémisme. Elle parvient par des moyens subtiles à faire ressentir l’angoisse qui s’empare progressivement des personnages, au fur et à mesure de leur prise de conscience de l’altération de la réalité : décadrages, éclairages obliques inspirés par le film noir, musique tour à tour angoissante, atonale et parfois bruitiste (BO magistrale signée par le pianiste de jazz et compositeur Denny Zeitlin, dont ce fut la seule incursion au cinéma), effets spéciaux physiques réalisés sur le plateau, cris inhumains effrayants réalisés par un Ben Burtt post-Star Wars. L’ambiance anxiogène de L’Invasion des profanateurs est une des plus marquantes de l’histoire du cinéma, avec notamment celle La Dernière vague de Peter Weir (1977).
Le remake, en développant l’histoire avec plus de moyens, en s’appuyant sur des acteurs chevronnés (le récemment disparu Donald Sutherland, Brooke Adams, Jeff Goldblum, Leonard Nimoy, mort en 2015, Veronica Cartwright), et en restant plus fidèle à la fin du roman (contrairement à la première adaptation), coche toutes les cases d’une adaptation réussie qui transcende son matériau d’origine. Si l’on ajoute à cela quelques caméos savoureux dont on ne trahira pas ici la teneur, on arrive effectivement à un modèle de remake.
Ce qui m’a frappé en revoyant les deux films à la suite, c’est l’histoire d’amour qui est à chaque fois au centre de l’intrigue. Les personnages se débattent dans un monde dans lequel les sentiments sont devenus obsolètes, quelque part beaucoup plus simple à gérer, mais dépourvu d’humanité. Ils se rebellent contre cette nouvelle norme, accrochés à l’amour qu’ils ressentent l’un pour l’autre, et sont prêts à tout pour le sauver. C’est cette quête désespérée qui constitue le cœur battant de l’histoire, son centre de gravité, comme pour nous rappeler ce qui fait de nous des humains.
PS : les deux films sont disponibles en Blu-Ray et sur certaines plates-formes de VOD.
PS 2 : deux autres adaptations du roman de Jack Finney sont sorties en 1993 (Body Snatchers, Abel Ferrara) et en 2007 (Invasion, Oliver Hirschbiegel).