Sous la bannière Total Trax, Yves Desrichard vient de signer (avec la participation de Rafik Djoumi et Olivier Desbrosses) un beau livre, le premier en langue française, consacré au compositeur hollywoodien : “Jerry Goldsmith, un orfèvre à Hollywood”. Un événement de taille à la mesure d’un musicien certes moins connu du grand public que son cadet de trois ans John Williams, mais tout aussi important. Je reviendrai en détail prochainement sur la carrière phénoménale du compositeur de “La Planète des singes” et “Alien” disparu en 2004 et sur ce magnifique livre de presque 400 pages et son compagnon visuel de pochettes de disques. En attendant, j’ai eu envie de m’entretenir avec son auteur pour connaître la genèse de ce projet hors norme.
Peux-tu te présenter brièvement ? Est-ce ton premier livre ?
J’ai 65 ans, j’ai travaillé pendant plus de quarante ans dans le domaine des bibliothèques, en Martinique, à Paris, à Lyon, à Montpellier… et je suis désormais en retraite au Vigan, petite commune des Cévennes, « ma » montagne que j’adore, même si je ne suis pas originaire de cette région. J’ai écrit, il y a de cela bien longtemps (plus de vingt ans !) deux biographies consacrées à Julien Duvivier et à Henri Decoin, deux piliers de l’âge classique du cinéma français, et un essai sur Blake Edwards. Ancien bibliothécaire, j’ai écrit aussi un certain nombre d’ouvrages sur les bibliothèques, un grand nombre d’articles techniques de bibliothéconomie, et un nombre encore plus grand de recensions de livres, de comptes rendus de colloques ou de journées d’étude, etc.
Depuis quand es-tu fan de JG et pourquoi ? Es-tu plutôt cinéphile ou musicophile ?
Comme beaucoup, j’ai découvert Jerry Goldsmith dans les années 1970, comme beaucoup d’abord sans le savoir, puis en faisant de plus en plus attention à « qui est le gars qui a écrit cette musique ? ». Puis j’ai acheté des disques, etc. Tout cela est résumé dans le dernier chapitre de mon livre, « Jerry and me », de même que la réponse au « pourquoi ». J’ai toujours eu besoin, comme chacun je suppose, d’avoir des personnes à admirer, des romanciers, des peintres, des scientifiques, des cinéastes, etc. – mais aussi des gens « du quotidien ». Disons que Jerry fait partie de ce panthéon et, si j’ai consacré tant de temps et d’énergie à écrire un livre « sur » lui, c’est qu’il y tient une place très particulière ! Par ailleurs, je suis plutôt cinéphile que musicophile, car je suis arrivé à la musique de film par le film, et non l’inverse – comme pratiquement tout le monde me semble-t-il.
(Ci-dessus : l’équipe de Total Trax presque au complet avec Yves Desrichard lors de la soirée de présentation du livre au Grand Rex le 22 juin 2024 et la projection du premier film Star Trek.)
Quel a été l’élément déclencheur pour écrire ce livre ? Combien de temps cela a-t-il pris en tout ?
« Elément déclencheur » est un grand mot mais, quelques années avant de partir en retraite, je me suis dit qu’il fallait préparer ce passage en trouvant un projet qui puisse largement m’occuper quand je ne travaillerai plus. J’avais trois envies d’écrire, depuis toujours : sur Julien Duvivier (fait) ; sur Danielle Darrieux (pas fait, mais il y a deux excellentes biographies d’elle, donc pas besoin) ; sur Jerry Goldsmith. J’ai donc commencé à mettre en ordre toute la documentation papier, discographique, vidéographique, accumulée depuis quarante ans, avec les redoutables méthodes du bibliothécaire ! Puis (voire plus bas), après beaucoup de réflexion, j’ai réussi à trouver la façon dont je pouvais et je voulais écrire… et je me suis lancé ! Dans mon élan, j’ai fini le livre six mois avant mon départ à la retraite ! Quant à évaluer le temps passé, je dirai six mois de rédaction effective, six ans de recherches et d’écriture, quarante-cinq ans de collecte et de passion…
Comment s’est passée la rencontre avec l’équipe de Total Trax ?
J’avais envoyé mon tapuscrit à Underscores, et Olivier Desbrosses, son fondateur, m’a répondu le 11 septembre 2021 (une date difficile à oublier), je cite, « J’ai peut-être une possibilité de concrétiser une publication physique à vous proposer ». C’est lui qui a eu l’idée de lancer une campagne de financement participatif. Pour être franc, je ne connaissais pas Total Trax avant cette aventure, mais c’est grâce à cette équipe que nous avons pu rassembler suffisamment de souscripteurs pour un gros livre écrit par un inconnu sur un compositeur que, et je l’ai découvert, je n’étais pas le seul à idolâtrer depuis tant d’années… Et c’est eux qui ont assuré (voir plus bas) tout le travail de préparation, correction, mise en page, édition, diffusion, etc. Bref, je leur dois tout et, moi qui suis un misanthrope notoire, je suis étonné qu’il puisse exister en ce monde, encore, des gens aussi désintéressés. Mais je sais bien que ce n’est pas pour moi qu’ils l’ont fait, mais pour Jerry Goldsmith, et ils ont bien raison !
A quel type de lecteur ce livre s’adresse-t-il ?
Le livre s’adresse en priorité, d’évidence, à ceux et celles qui apprécient les musiques de Jerry Goldsmith. Mais j’ai espoir qu’il pourra intéresser aussi tous ceux et toutes celles qui apprécient la musique de film, voire plus largement les cinéphiles qui, par ce biais, par l’apport souvent décisif du compositeur aux films auxquels il a collaborés, pourront comprendre que la musique de film est un art, et qu’une bonne musique est aussi indispensable à un film que, par exemple, un bon scénario, de bons acteurs, etc.
L’approche thématique a été privilégiée à celle purement chronologique, pourquoi ce choix ?
A mon sens, l’approche chronologique aurait fait ressembler le livre à un inventaire, engendrant très rapidement, même chez les fans absolus, un ennui profond. L’approche thématique (qui est bien évidemment discutable, de même que les rapprochements opérés, mais il faut bien faire des choix) permet de manifester la cohérence ou l’évolution de l’apport de Jerry Goldsmith à des genres majeurs du cinéma américain : western, film policier, science-fiction, fantastique, etc. Elle permet, aussi, de mettre en valeur un certain nombre de partitions qui, selon moi, manifestent plus complètement le génie intrinsèque de Jerry Goldsmith dans son apport aux films choisis.
Comment est-ce que tu as réussi à parler de musique avec des mots, c’est une gageure ? (J’en sais quelque chose !)
C’est une excellente question, et j’avoue que je suis assez fier de moi sur ce point puisque, longtemps, c’est celui qui m’a empêché d’écrire. Je ne suis ni musicologue, ni même musicien, et par conséquent je ne pouvais m’autoriser une approche trop technique de l’écriture musicale de Jerry Goldsmith, dont je pense de plus qu’elle aurait rebuté un grand nombre de lecteurs et de lectrices. Mais, en même temps, la musique était mon sujet, plus que des anecdotes sur les tournages, l’enregistrement, etc., la musique dans son rapport au film. De ce fait, après bien des tâtonnements, je me suis essayé à mêler une approche forcément « impressionniste » et subjective de l’apport de la musique et des considérations, sinon franchement techniques, du moins musicalement correctes et objectives (instruments utilisés, nombre de notes d’un thème, etc.) pour bien faire comprendre l’intelligence d’écriture musicale de Jerry Goldsmith – jusque dans les moments où il n’y a pas de musique et où on pourrait dire, comme de Mozart, que le silence est aussi de Jerry Goldsmith…
Comment se sont partagées les tâches avec tes co-auteurs ?
Rafik et Olivier ne m’en voudront pas, je l’espère, de récuser le terme de « co-auteur ». Rafik a fait un travail très approfondi de réécriture, notamment pour éliminer de mon « style » tout ce qu’il peut avoir, j’en ai conscience, d’agaçant (phrases trop longues, trop scandées, trop grand nombre d’adverbes, etc.) et, surtout, pour atténuer des opinions souvent trop tranchées, méchantes ou injustes, qui desservent surtout leur auteur, sans servir Jerry Goldsmith ! Quant à Olivier, il a complété quelques manques (des films que je n’avais que trop brièvement évoqués) pour s’assurer d’une quasi-exhaustivité (elle ne peut jamais être totale). Surtout, grâces lui en soient rendues, il a lu, relu, avec Stéphanie, le texte de façon à éliminer au maximum coquilles, fautes, etc. Et puis, ce qu’un ancien bibliothécaire comme moi est le mieux placé pour célébrer, il a repris tout l’index du livre, là où celui que j’avais préparé n’a pas pu, pour des raisons techniques, être utilisé. C’est un immense travail, indispensable pour moi car il permet de multiplier les « entrées » dans le film, autres que l’approche chapitre par chapitre.
Jerry Goldsmith est-il selon toi le plus grand compositeur hollywoodien et si oui pourquoi ?
Pour résumer simplement presque cinquante de passion, je dirai « oui » à la première question (sinon, je serai un brin masochiste !). Pour savoir « pourquoi ? », il faut lire le livre. Pour le résumer en quelques mots, je dirais que Jerry Goldsmith, c’est l’acharnement et l’humilité de composer la meilleure musique pour un film, quel que soit le film.
J’ai beaucoup apprécié le chapitre sur John Williams. J’imagine que tu es fan aussi ?
Difficile de ne pas être fan d’un pilier de la musique de film hollywoodienne depuis tant de dizaines d’années… Ce que j’apprécie chez John Williams, c’est qu’il a redonné ses lettres de noblesse à la musique symphonique, à l’orchestre, comme à l’âge d’or de la musique de film, celle des Steiner, Rozsa, Waxman… Il le fait avec une inventivité thématique redoutable, jusqu’au systématisme assumé des leitmotivs de la saga Star Wars. C’est un compositeur qui n’hésite pas à l’effet, sans jamais sombrer ni dans la grandiloquence, ni dans la sensiblerie, ce qui n’est pas toujours facile. Il n’a jamais « manqué » ses rendez-vous avec des « gros » films pour lesquels il était attendu, que ce soit, bien sûr, ceux d’une collaboration miraculeusement exemplaire avec Steven Spielberg, ou ceux de la série Harry Potter, de Superman, etc. Et puis, à plus de 90 ans, il donne de l’espoir d’une vieillesse accomplie à des «jeunes» comme moi !
Si tu devais partir sur une île déserte avec 5 BO de Goldsmith, ce seraient lesquelles et pourquoi ?
La question est bien difficile… S’il n’en fallait qu’une, ce serait, presque d’évidence, celle de La planète des singes. Après… Disons que ça dépendrait de l’île déserte, des circonstances dans lesquelles je serais amené à y aller, du temps que je devrais y passer… et si j’aurais le droit de partir avec quelqu’un ou plutôt quelqu’une, qui alors aurait son mot à dire !
Qu’est-ce que tu penses de la musique de film contemporaine ?
J’ai bientôt 65 ans… et je n’échappe pas à la règle de la nostalgie ! Je ne vais plus beaucoup au cinéma, donc je ne vois guère de films récents, et je ne regarde pas de séries, trop chronophages à mon goût. De ce fait, mon avis est biaisé. Toutefois, il y a bien longtemps que je n’ai pas entendu de musiques de film aussi originales que celles composées par Jerry Goldsmith dans les années 60 à 80, ou même par d’autres compositeurs. Il me semble qu’il y a trop de musique dans les films et, comme on dit, « trop de musique tue la musique ». Mais, encore une fois, c’est l’avis injuste d’une personne peu informée des nouveautés…
Le livre est disponible sur le Pulse Store.
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