Créer une librairie de cinéma à Paris, le rêve d’une vie pour certains, une réalité pour d’autres. Les deux pour Elena et Christos, heureux propriétaires de la boutique Le MacGuffin, située 49 blv. Saint-Germain dans le 5e arrondissement. Après la rencontre avec la violoniste Isabelle Durin autour de mon livre sur John Williams à la librairie le 15 juin 2024, j’ai eu envie de connaître leur histoire singulière. Ils évoquent pour nous leur pays, la Grèce, leur première carrière d’éditeurs, leur arrivée en France, leur passion pour le cinéma, et aussi la situation du cinéma dans leur pays. Sans oublier d’évoquer le nom malicieux de leur enseigne.
Parlez-nous de vous. Quelles études avez-vous faites en Grèce, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Christos : Je suis né à Chypre et je suis allé étudier le marketing et la programmation informatique à l’université d’Athènes. Elena est née à Athènes et a étudié le droit. Après nos études, nous avons tous deux trouvé un emploi dans une banque où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. L’un des facteurs qui nous ont rapprochés était notre amour commun pour le cinéma.
Parlez-nous de votre activité d’édition, quel genre de livres publiez-vous ?
Lorsque nous avons démarré notre activité d’édition, nous avions l’impression qu’il fallait faire un peu de tout. Des livres de fiction, de l’histoire, des livres pour enfants. C’était une erreur. Il faut se spécialiser dans quelque chose. Rapidement, nous avons découvert que les livres de fiction destinés aux jeunes adultes (c’est-à-dire principalement âgés de 18 à 25 ans) constituaient une catégorie de livres qui n’était pas encore apparue sur le marché grec, et qui, en même temps, avait un grand impact aux États-Unis. Des livres comme Twilight, The Hunger Games, Mortal Instruments, etc. Nous avons donc orienté notre attention en tant que maison d’édition vers ce genre de livres avec un grand succès.
Qu’est-ce qui vous a décidé à ouvrir une librairie de cinéma à Paris ? Aviez-vous visité les librairies existantes ?
Ouvrir un magasin comme celui-ci était le rêve d’une vie. Mais nous savions que nous ne pouvions pas l’ouvrir à Athènes, car il n’y avait pas un public assez important pour un magasin aussi spécialisé. Alors, lorsque nos deux filles ont déménagé à Paris pour étudier, nous nous sommes demandé “pourquoi ne pas ouvrir ce magasin à Paris, berceau du cinéma ?” Nous n’avions aucune expérience préalable dans le commerce de détail. Bien sûr, nous avons visité des magasins existants, mais aucun d’entre eux ne correspondait à ce que nous souhaitions faire. Aussi, parfois, ne pas copier des situations existantes permet de prendre plus de liberté et d’avoir un regard plus neuf sur les choses. Cela vous aide à sortir des sentiers battus. Parce que ce que nous avons voulu créer, c’est un refuge à la fois pour les cinéphiles et les cinéphiles occasionnels. Nous voulons célébrer la magie du cinéma sous toutes ses formes. Que vous soyez fan des classiques hollywoodiens, des films d’art européens ou des derniers blockbusters. J’espère que nous avons réussi à créer un lieu qui n’est pas seulement un magasin mais une destination pour tous ceux qui chérissent l’art du cinéma, que vous cherchiez à élargir votre collection de films ou à trouver le cadeau parfait pour votre amoureux(se) cinéphile, ou simplement vous plonger dans un monde de magie cinématographique, nous souhaitons offrir une expérience qui célèbre le pouvoir durable du cinéma.
Votre magasin propose une offre riche, avec des objets de collection, des affiches, des t-shirts, mais aussi des livres pointus et des produits difficiles à trouver, quelle est votre clientèle ?
Au fil du temps, on remarque que la plupart des clients viennent acheter majoritairement des livres ou des DVD. Les amateurs d’objets sont moins nombreux. Nous pensons que cela indique que notre clientèle jusqu’à présent est composée de personnes qui ont un amour et une connaissance plus profonde du cinéma. Il peut s’agir de simples fans ou encore de professionnels du cinéma et d’étudiants en cinéma qui découvrent la boutique et en semblent très heureux.
Avez-vous toujours été cinéphiles ?
Oui. Personnellement (Christos), quand j’étais enfant, j’avais mon bloc-notes sur lequel, après avoir regardé un film, je notais ma critique (1 à 5 étoiles). Et nous avons une histoire plutôt drôle à propos de notre premier rendez-vous. C’était pour aller voir un nouveau film que nous attendions tous les deux. Le film était Le Silence des agneaux. Pas très romantique.
Quel genre de films aimez-vous le plus ?
Les bons ! (Je plaisante) Mais pas complètement. Peu importe qu’il s’agisse d’un drame ou d’un film de genre. C’est vrai que nous sommes davantage attirés par les drames sérieux, mais je crois fermement que chaque film doit être jugé et apprécié pour ce qu’il est. Cela peut être un film d’action « idiot » mais si c’est bien fait, et que je m’investis dans l’intrigue, je me soucie des personnages et il n’y a pas de trous dans l’histoire, ça fait deux heures de divertissement, donc je n’ai aucune objection. D’un autre côté, si un film est présenté comme un chef-d’œuvre bergmanien et qu’il s’agit d’un mélodrame bon marché, je ne l’aimerai pas, même s’il est censé être « un drame sérieux ». Bien sûr, nous avons nos réalisateurs préférés, avec Bergman en tête de liste. De plus, vous devez regarder Tarkovski si vous voulez voir de la poésie cinématographique. Mais il y a beaucoup de noms sur cette liste, de tous les continents et de toutes les époques. De même avec notre liste des cinq meilleurs films. Il y a au moins cinquante films dans ce top cinq !
Quel est l’état du cinéma en Grèce ? Est-ce que les gens vont encore au cinéma ? En dehors de Yorgos Lanthimos, y a-t-il d’autres cinéastes intéressants ?
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années 1960, nous avec vécu ce qu’on appelle l’âge d’or du cinéma grec. Il y avait de grandes sociétés de production, de grands réalisateurs, de grandes stars. De nombreux films sont de véritables pépites qui ne manquent de rien par rapport aux productions hollywoodiennes. Mais une véritable tempête d’événements s’est produite vers les années 1970, notamment la junte grecque, la mort du directeur du studio Finos Films, la situation économique, etc. et nous n’avons plus rien vu de pareil depuis. La production s’est davantage concentrée sur les séries télévisées. Aujourd’hui, les films sont assez rares. Les gens vont encore au cinéma, mais je ne pense pas autant qu’avant. Je me souviens que dans les années 1990, les salles de cinéma étaient pleines. Bien sûr, les films des années 90 étaient meilleurs (peut-être que mon âge le montre) et le streaming n’existait pas encore. Pour trouver des cinéastes intéressants en dehors de Lanthimos, je pense vraiment qu’il faut remonter le temps. Je profite de cette occasion pour évoquer quelques noms de réalisateurs grecs qui ont marqué l’histoire du cinéma : Alekos Sakellarios, Giorgos Tzavellas, Yannis Dalianides, Theo Angelopoulos.
Le gouvernement grec aide-t-il l’industrie cinématographique ?
Ces dernières années, le gouvernement a incité les sociétés de production à faire de la Grèce une destination attractive pour les productions cinématographiques internationales. Cela semble fonctionner, puisque nous avons vu de nombreux films internationaux tournés en Grèce depuis 2020, parmi lesquels The Triangle of Sadness. Aussi, récemment, nous avons assisté à la création de programmes de financement destinés aux nouveaux réalisateurs et aux nouvelles petites sociétés de production.
Parlez-nous du nom de votre boutique.
«Le MacGuffin» tire son nom d’un terme et d’un concept popularisés par Alfred Hitchcock, le célèbre réalisateur anglais. Le MacGuffin peut être un objet, un événement ou un personnage dans un film ou une histoire qui sert à mettre en place et à maintenir l’intrigue en mouvement même s’il manque généralement d’importance intrinsèque. Quelques exemples :
• La mallette dans Pulp Fiction – Son contenu n’est jamais révélé, mais elle détermine une grande partie de l’intrigue,
• Le Faucon Maltais dans le film du même nom – Une statue précieuse que les personnages poursuivent tout au long du film,
• L’Arche d’Alliance dans Les Aventuriers de l’arche perdue – Bien qu’importants pour l’intrigue, ses pouvoirs spécifiques sont moins pertinents que la poursuite pour l’obtenir,
• L’Anneau Unique dans Le Seigneur des Anneaux – Bien qu’il possède des pouvoirs spécifiques, il sert principalement à motiver les actions des personnages et à piloter l’intrigue,
• Les « plans top secrets » dans La Mort aux trousses d’Hitchcock – Les détails de ces plans ne sont jamais révélés et n’ont pas d’importance pour le plaisir du public du film.
Hitchcock utilisait souvent des MacGuffins dans ses films. Il a plaisanté en disant que dans les films à suspense, le MacGuffin est souvent quelque chose que recherchent les méchants, comme les « secrets du gouvernement », mais qu’il pourrait tout aussi bien être « un paquet vide » en ce qui concerne le public. La clé est que même si le MacGuffin est crucial pour les personnages de l’histoire, sa nature spécifique ou son contenu n’ont généralement pas d’importance pour l’expérience du public concernant l’intrigue et les thèmes. Il a affirmé que le terme provenait d’une histoire concernant deux hommes dans un train. Un homme demande s’il y a un paquet au-dessus du siège de l’autre, et l’autre répond qu’il s’agit d’un « MacGuffin », un appareil destiné à piéger les lions en Écosse. Lorsqu’on lui dit qu’il n’y a pas de lions en Écosse, il répond : “Eh bien, ce n’est pas MacGuffin.” Cette anecdote souligne le peu d’importance des MacGuffin. Hitchcock a apparemment apprécié la façon dont le mystérieux paquet retient l’attention du public et crée le suspense. Il a reconnu qu’un public anticipant une solution à un mystère continuera à suivre l’histoire même si l’intérêt initial s’avère sans importance. Hitchcock a décrit le MacGuffin idéal comme « la plus vide des boîtes vides ». Il voulait dire que moins le MacGuffin est spécifique ou important, mieux il remplit son objectif de simplement conduire l’intrigue. Hitchcock a longuement discuté de MacGuffins dans ses entretiens avec François Truffaut, publiés dans le livre Hitchcock/Truffaut. Ces conversations fournissent une grande partie de ce que nous savons sur les réflexions d’Hitchcock sur le concept.
Le site du magasin Crédit photos : LeMacGuffin
English version below :
Can you please tell us about yourself ? What studies did you do in Greece, how did you meet ?
I was born in Cyprus, and I went to study Marketing and Computer Programming at the University of Athens. Elena was born in Athens and studied Law. After our studies we both found a job at a bank where we first met. One of the factors that brought us together was our common love for cinema.
Tell us about your publishing activity, what kind of books ?
When we began our publishing activity, we were under the impression that we should do a bit of everything. Some fiction books, some history, some children’s books. That was a mistake. You have to specialize in something. Quickly, we discovered that fiction books directed to young adults (meaning mostly ages 18-25) were a category of books that hadn’t yet appeared in the Greek market, and at the same time they were making a big impact in the US. Books like Twilight, The Hunger Games, Mortal Instruments etc. So, we directed our focus as a publishing house to those kind of books with great success.
What decided you to open a cinema bookstore in Paris ? Did you visit the existing bookstores before ?
Opening a store like this, was a life’s dream. But we knew that we couldn’t open it in Athens, since there is not a big enough audience for such a niche shop. So, when our two daughters moved to Paris to study, we asked ourselves “why not open this store in Paris, the birthplace of cinema?
We didn’t have previous experience in retail. Of course we visited existing stores, but none of them was like what we wanted to do. Also, sometimes, not copying from existing situations lets you take more liberties and have a fresher look on things. It helps you think outside the box. Because what we wanted to create is a haven for both film enthusiasts and casual moviegoers. We want to celebrate the magic of cinema in all its forms. Whether you’re a fan of classic Hollywood, European art films, or the latest blockbuster. I hope we managed to create a place that isn’t just a store but a destination for anyone who cherishes the art of cinema, and whether you’re looking to expand your film collection, or find the perfect gift for the cinephile in your life, or simply immerse yourself in a world of movie magic, we want to offer an experience that celebrates the enduring power of film.
Your store has a rich offer, with collectibles, posters, t-shirts, and also selected books and hard to find products, what is your customer base?
As time progresses, we notice that most of the customers come to buy mostly books or DVDs. Merchandise seekers are less. We think that this is an indication that our customer base so far, is people that have a deeper love and knowledge about cinema. They can be simple fans or even film professionals and cinema students who discover the shop and seem very happy about it.
Have you always been movie buffs ?
Yes. Personally (Christos), when I was a kid, I had my notepad, where, after watching a movie, I wrote down my review (1 to 5 stars). And we have a rather funny story about our first date. It was to go a see a new movie that we both were expecting. The movie was Silence of the Lambs. Not very romantic.
What kind of movies do you like most ?
The good ones! (I’m joking) But not completely. It doesn’t matter if it’s a drama or a genre film. It’s true that we are drawn more to serious dramas, but I firmly believe that every film should be judged and appreciated for what it is. It can be a ‘silly’ action movie but if it’s done well, and I’m invested in the plot, I care about the characters and there are no gaps in the story, that’s 2 hours of entertainment, so I have no objection. On the other hand, if a film is being promoted as a Bergmanesque masterpiece and it’s a cheap melodrama I will not like it, despite it supposedly being ‘a serious drama’.
Of course, we have our favourite directors, with Bergman at the top of the list. Also, you must watch Tarkovsky if you want to see cinematic poetry. But there are a lot of names on that list, from all continents and all eras. Similarly with our top-five films list. There are at least fifty movies in those top five.
What is the state of cinema in Greece ? Do people still go to the movies ? Putting Lanthimos aside, are there other interesting filmmakers ?
After WWII, and up until the end of 1960s we have what is called the Golden Age of Greek cinema. There were big production companies, great directors, big stars. Many films are real gems that lack nothing compared to Hollywood productions. But a perfect storm of events came together sometime around the 70s, including the Greek junta, the death of the head of the Finos Films studio, the economic situation etc. and we haven’t seen anything similar since then. Production has been more focused in TV series. Films are quite rare.
People still go to the movies, but I think not as much as they used to. I remember in the 90s movie theatres were packed. Of course, 90s movies were better (maybe my age is showing), and streaming didn’t exist yet.
To find interesting filmmakers apart from Lanthimos, I really think we should go back in time. I will take this opportunity to mention a few names of Greek film directors that made their mark in the history of Greek cinema: Alekos Sakellarios, Giorgos Tzavellas, Yannis Dalianides, Theo Angelopoulos.
Does the Greek government help the movie industry ?
In recent years, there are government incentives towards production companies to make Greece an attractive destination for international film productions. It seems to be working, since we saw many international films shot in Greece since 2020, with The Triangle of Sadness standing out amongst them. Also, recently we have seen the creation of financing programmes geared towards new directors and new small production companies.
Please tell us about the name of your store.
‘Le MacGuffin’ takes its name from a term and concept that Alfred Hitchcock, the famous film director, popularized. The MacGuffin can be an object, event, or character in a film or story that serves to set and keep the plot in motion despite usually lacking intrinsic importance itself.
Some examples:
- The briefcase in “Pulp Fiction” – Its contents are never revealed, but it drives much of the plot.
- The Maltese Falcon in the film of the same name – A valuable statue that characters pursue throughout the movie.
- The Ark of the Covenant in “Raiders of the Lost Ark” – While important to the plot, its specific powers are less relevant than the chase to obtain it.
- The One Ring in “The Lord of the Rings” – While it has specific powers, it primarily serves to motivate character actions and drive the plot.
- The “top secret plans” in Hitchcock’s “North by Northwest” – The specifics of these plans are never revealed and don’t matter to the audience’s enjoyment of the film.
Hitchcock often used MacGuffins in his films. He famously joked that in thriller movies, the MacGuffin is often something the villains are after, like “government secrets,” but that it could just as well be “an empty package” as far as the audience is concerned.
The key is that while the MacGuffin is crucial to the characters in the story, its specific nature or contents are usually irrelevant to the audience’s experience of the plot and themes.
He claimed the term originated from a story about two men on a train. One man asks about a package above the other’s seat, and the other replies it’s a “MacGuffin,” a device for trapping lions in Scotland. When told there are no lions in Scotland, he replies, “Well, then that’s no MacGuffin.” This anecdote emphasizes the MacGuffin’s unimportance. Hitchcock apparently appreciated the way the mysterious package holds the audience’s attention and builds suspense. He recognized that an audience anticipating a solution to a mystery will continue to follow the story even if the initial interest-grabber turns out to be irrelevant.
“The emptiest of empty boxes”: Hitchcock described the ideal MacGuffin as “the emptiest of empty boxes.” He meant that the less specific or important the MacGuffin is, the better it serves its purpose of simply driving the plot.
Hitchcock discussed MacGuffins extensively in his interviews with François Truffaut, which were published in the book “Hitchcock/Truffaut”. These conversations provide much of what we know about Hitchcock’s thoughts on the concept.