13 juin 2024. Fermeture annoncée de l’UGC Normandie, dernier complexe de l’exploitant cinématographique sur les Champs-Élysées. La fin d’une époque. L’ultime séance ne sera même pas une projection de film, mais la retransmission en direct depuis les arènes de Vérone de l’opéra Carmen, de Georges Bizet.
Tombée au mois d’avril, l’annonce de la fermeture de cette belle salle de 862 places, et de ses trois cousines plus petites, n’a pas levé le mouvement d’indignation auquel on aurait pu s’attendre (ou espérer). Une pétition en ligne n’a suscité que 1450 signatures. Et puis le cinéma n’est pas inscrit aux monuments historiques, c’est bête.
Depuis sa construction en 1937, le complexe a connu plusieurs visages, au gré des époques et des modes. De 2000 places au départ, la salle est divisé en 1969 en quatre salles, dont la salle 1 qui devient un lieu de référence pour ses qualités techniques et accueille des avant-premières prestigieuses.
Si plusieurs salles de cinéma ont fermé leurs portes suite à la pandémie aux États-Unis, la France a été plutôt bien protégée. Sauf que le quartier du 8e arrondissement a changé. Emblématique de la vie parisienne à l’époque d’A bout de souffle (1960), les Champs-Élysées se sont transformés en vitrine de luxe pour les marques et en aspirateur à touristes. Les Parisiens ont déserté le quartier qui n’est plus un lieu de vie, d’où la fermeture des cinémas (seul subsiste le Publicis au numéro 129 et quelques salles indépendantes dans les rues adjacentes). Cette désaffection, couplée à la flambée des prix de l’immobilier (le Qatar, propriétaire de l’immeuble de l’UGC Normandie n’a pas voulu baisser son loyer pour que le cinéma survive, selon Le Figaro), aura été fatale à la vie culturelle de cette avenue emblématique. Sans parler des conditions de travail dégradées pour des salariés qui n’ont pas été soutenus par leur direction.
Dans les années 1990, j’ai connu la fermeture de l’UGC Biarritz, qui marquait le début de la lente érosion des salles de cinéma sur ce qu’on appelait “les Champs”. Voir ce complexe de cinq salles fermer ses portes pour être remplacé en partie par un concessionnaire de voitures était révélateur de la restructuration du quartier, pour lequel la “culture” n’est sans doute pas assez rentable. Adieu les projectionnistes qui longaient la rue Quentin-Bauchard avec leurs galettes de bobines de films sous le bras. Adieu les longues files d’attente dans lesquelles on s’entassait pour voir la dernière sortie. Adieu aussi au Virgin Megastore où on allait acheter le dernier album ou assister à une rencontre avec une star.
Conscient qu’il va perdre son plus beau joyau, le réseau UGC a décidé de marquer le coup et organise depuis le mois de mai des projections exceptionnelles, dont celle de Star Wars Épisode 1, des sagas mythiques (Le Parrain, Le Seigneur des anneaux), et même Les Sept samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa. Mais cela ne suffira pas à consoler ceux qui ont toujours considéré cette salle, ainsi que les défunts Kinopanorama et Grand Écran Italie, comme des hauts lieux de la cinéphilie parisienne, qui auront marqué nos esprits autant que les films qu’ils nous ont permis de savourer sur grand écran.
Si le cinéma en salles résiste en France, il n’empêche que le paysage a été bouleversé par la montée en puissance des plates-formes de streaming, qui ne se gênent pas pour s’afficher au fronton et dans les avant-programmes des salles obscures (cf. image ci-dessous).
Alors, le mot fiasco s’applique bien ici à cette disparition annoncée, qui ne manquera pas de rendre profondément tristes les cinéphiles du monde entier.
PS : on me signale l’existence du groupe FB : Les amis de l’UGC Normandie.
Mise à jour du 12 juin : La dernière projection d’un film a eu lieu le 12 juin avec le beau La La Land de Damien Chazelle. Le personnel est monté sur scène sous les applaudissements chaleureux du public. Le rideau s’est fermé. C’est fini.