Monteur, scénariste et réalisateur (notamment de making of), David Hertzog Dessites est né à Cannes en 1973. Il vit un conte de fée depuis le Festival de Cannes et surtout depuis l’aboutissement d’années de travail avec la sortie en salles d’Il était une fois Michel Legrand, un documentaire sur le compositeur français sur lequel je suis revenu ici. J’ai eu envie d’en savoir plus sur l’aventure de ce film hors du commun et sur son parcours. Un grand merci à lui d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Quelle a été la plus grande difficulté à surmonter pendant ces sept années de conception ?
Les difficultés ont été nombreuses et honnêtement, toutes ont été de grandes étapes à surmonter dans la fabrication du film, à commencer par le manque cruel de moyens financiers. Faire un film sur Michel Legrand avec autant de musiques et autant d’archives, cela équivaut à gérer une usine à gaz sur le plan des droits. Michel avait collaboré avec de nombreux labels et majors, aussi il a fallu mettre tout le monde d’accord, ce qui a été long et laborieux. Mais quand j’y réfléchis, le moment le plus difficile à surmonter a été de dire adieu à Michel. Le film ne devait pas être ce qu’il est aujourd’hui, je n’avais pas prévu de suivre Michel Legrand jusqu’à la fin de ses jours. C’est aussi ce qui a fait que le film a été mis en pause. J’avais besoin de prendre du recul, de faire le deuil.
Michel Legrand tenait-il à montrer une « bonne » image de lui-même ou n’en avait-il rien à faire ?
Je ne dirais pas que cela lui importait peu, mais Michel n’avait que faire de « gérer » son image. Il était brut de décoffrage, ce qui était d’ailleurs un problème pour certains. Travailler à ses côtés voulait dire être soumis parfois à des moments de tempêtes, des colères parfois odieuses de sa part. En ce sens, le film ne triche pas. Je tenais à ce que l’on montre qui il était en tant qu’homme, mais sans que ce soit à charge. L’idée n’était pas de rentrer dans un débat puisqu’il n’y en a jamais eu. Michel n’a jamais caché qu’il pouvait être tempétueux, cela fait partie de sa légende. Il avait l’impatience et les colères d’un enfant de 12 ans. Ce qui est formidable c’est que le public ne s’y est pas trompé en voyant le film. Tous les spectateurs nous disent à quel point ils le découvrent et combien ces moments le rendent encore plus humain, et même plus attachant.
Au moment du montage, quelle intention vous a guidé pour mener à bien ce travail ?
Il me fallait trouver comment raconter ces deux dernières années passées avec lui, sans pour autant que ce soit le seul arc narratif, sans que ce soit une chronologie. Et comme je tenais aussi à donner des informations historiques sur son passé, pour permettre aux plus jeunes de cerner qui était l’artiste et son rôle dans l’histoire de la chanson et du cinéma, j’ai très rapidement mélangé les deux temporalités. Ce qui donne une lecture foisonnante du montage, cette sensation dont nous parle le public de ne jamais s’ennuyer tout au long du film.
Quel a été l’apport de Stéphane Lerouge* ?
Il a été un véritable soutien à bien des niveaux. Tout d’abord dans ce que je qualifierai de narration pure du film, c’est-à-dire celle amenée par les différentes interviews. Ensuite parce que Stéphane était notre référent historique tant pour la construction du film, sur le plan musical, que pour sa sortie lorsque notre distributeur Dulac a développé les outils marketing pour la promotion du film, comme notamment l’exposition Michel Legrand que l’on peut retrouver à la Maison de la radio ou encore dans certains cinémas. Mais également dans la fabrication du disque de la bande originale.
On sent en regardant le film que vous devenez petit à petit plus proche de lui, que votre amitié se noue, comment cela s’est-il passé ?
Michel et moi n’avons jamais parlé de cette amitié naissante, elle s’est imposée de façon spontanée, de façon tout à fait fluide. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’énergie positive entre Michel et moi, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des accès d’impatience, comme pendant cette scène où nous sommes au montage lui et moi. Mais il se sentait à l’aise. Macha Méril m’avait dit que c’était incroyable de voir qu’il ne refusait pas ma caméra et ma présence, lui qui détestait ça d’habitude. Il était à l’aise, en confiance, ce qui a donné ces images.
D’après vous, pourquoi Michel n’a-t-il pas fait comme Maurice Jarre et déménagé d’une façon permanente à Hollywood ? Il aurait eu plus de moyens pour faire son travail.
Hollywood a été générateur de gloire comme de grand stress. Il ne faut pas oublier que c’est à Los Angeles que Michel a fait cette dépression qui l’a contraint à rentrer en France se faire soigner et l’a privé de recevoir son premier oscar pour la chanson de L’Affaire Thomas Crown. Il a expérimenté le pouvoir écrasant qu’Hollywood peut aussi avoir sur ceux qui peuplent la ville. Dès lors, toute vie là-bas fut impossible. Il n’y retournera que par à-coup, pour des projets ponctuels.
Pourquoi ne pas avoir intégré un extrait du premier concert de Morricone en France en 1984 à Pleyel en compagnie de Michel et Georges Delerue ?
Ce n’est pas par manque d’envie mais par manque de moyens financiers.
J’imagine que des questions budgétaires ont eu raison des extraits de films ?
Tout à fait, des films comme des archives comme je le dis au-dessus. Un film comme celui-ci à coûté une fortune en droits musiques et images. On est au minimum à 2 millions d’euros, sachant que Ennio de Giuseppe Tornatore a couté 3,7 M€. Pour ce film sur Michel, nous avons eu 430.000 M€… soit 4,5 fois moins environ. À cela, nous ajoutons les dépassements et mon apport personnel sans lequel aucune image de Michel n’existerait de 2017 à 2019, nous arrivons à 610.000 €. Ça reste impossible à faire, et pourtant avec mes coproducteurs nous l’avons fait. Nous avons eu l’aide de tous les partenaires du film, de l’INA à Universal Music France, Warner Chappell, OCS (via Guillaume Jouhet), etc. Tous ont joué un rôle capital dans la faisabilité. Croyez-moi, ce film est un tour de force et c’est un miracle qu’il soit aujourd’hui sur les écrans de cinéma, un miracle rendu possible grâce à Dulac Distribution.
Quel est votre BO préférée de Michel Legrand et pourquoi ?
Je dirais Yentl, d’abord parce que c’est à mon sens la plus belle partition de Michel. Ensuite parce que je suis un grand fan du film et qu’il est rattaché à ma mère qui me l’a fait découvrir un soir de 1983 au cinéma. Ce film, cette musique, ont scellé mon admiration et mon amour pour Michel Legrand.
Quel est l’héritage musical de Michel Legrand ? Qui sont ses successeurs ?
L’héritage est considérable. Michel laisse une œuvre colossale qui permet à des compositeurs naissants de s’en inspirer. Il a amené un sang neuf dans la musique au cinéma, il a été visionnaire avec Les Parapluies de Cherbourg, son apport à la musique est immense, il est un compositeur majeur du 20e siècle. Pour ce qui est des successeurs, difficile de se prononcer et cela reste assez subjectif. Mais Philippe Rombi pourrait sans hésiter être de ceux-là.
Avez-vous un autre film en préparation ?
L’aventure de ce film a donné naissance à une relation professionnelle totalement inattendue avec Martine et Thierry de Clermont-Tonnerre, nous nous sommes trouvés. Si je considère Michel comme mon père artistique, je dirais que Martine est ma maman de cinéma. Il y a plusieurs pistes, plusieurs projets potentiels. Martine souhaite de tout cœur que nous fassions une fiction ensemble, inspirée de mon parcours de vie. C’est un exercice particulier mais elle a abordé le sujet avec une grande bienveillance et a su me mettre en confiance. Ce sera l’un des projets que nous développerons prochainement.
* responsable chez Universal Music de la collection “Écoutez le cinéma” et biographe de Michel Legrand
Photo d’ouverture, de gauche à droite : Michel Legrand, Stéphane Lerouge, Erik Berchot et David Hertzog Dessites