C’était il y a quelques jours, le 8 septembre 2025 pour être précis : on célébrait le centenaire de la naissance du grand Peter Sellers. Pour marquer l’événement comme il se doit, la toile s’est animée de toutes parts. On a vu apparaître un podcast (en anglais) consacré aux nombreux films – parfois prestigieux – que l’acteur a refusés au cours de sa carrière, ainsi que quelques vidéos inédites sur lesquelles je reviendrai en fin d’article.
On sait que l’histoire du cinéma est tout aussi passionnante lorsqu’on en explore la face cachée : celle des projets avortés, bien plus nombreux que les films effectivement tournés. Un livre leur est d’ailleurs consacré, je vous le conseille au passage : Les plus grands films que vous ne verrez jamais.
Mais revenons à Peter Sellers. On sait que l’acteur pouvait se montrer particulièrement inconstant. Ses enthousiasmes soudains laissaient parfois place à des revirements tout aussi brusques, motivés par des raisons irrationnelles — un avis négatif de son voyant, ou tout simplement l’ennui qui s’était installé.
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Je dresse ici une liste évidemment non-exhaustive qui donne à voir l’étendue des projets plus ou moins délirants dont nous avons été malheureusement privés. Ils racontent une histoire parallèle du cinéma qui donne parfois le tournis :
- Mel Brooks propose un rôle à Peter Sellers dans Les Producteurs (1967). L’acteur refuse, mais, tombé amoureux du film une fois terminé, il achète une page de publicité dans Variety pour en soutenir la distribution, contribuant ainsi à rendre sa sortie possible.
- Dans 10 de Blake Edwards (1979), Peter et Henry Mancini participent à une scène de fête, mais l’acteur est sous l’influence de substances illicites et s’adresse à plusieurs reprises à Dudley Moore en l’appelant par son prénom au lieu d’utiliser le prénom du personnage, George. La scène est coupée au montage.
- On propose à Peter un rôle dans Topkapi (1964) et à Peter Ustinov un rôle dans La Panthère rose (1963). Au final, un échange a lieu et chacun joue dans le film prévu pour l’autre.
- Dans la série des films au scénario improbable, on propose à Peter un rôle dans Un micro dans le nez (The Spy with a Cold Nose), une comédie d’espionnage britannique de Daniel Petrie sortie en 1966. C’est une parodie d’espionnage dans laquelle un chien se voit implanter un dispositif d’écoute secret sous la peau avant d’être présenté en cadeau à un dirigeant russe. Les espions recrutent un vétérinaire, joué par Laurence Harvey, pour récupérer l’émetteur avant que les Russes ne le trouvent.
- Autre film refusé par Peter : Expresso Bongo, de Val Guest (1959). Le voir dans le rôle d’un agent sans scrupules qui parcourt les cafés de Soho à Londres à la recherche d’une nouvelle star aurait été amusant. C’est finalement Laurence Harvey qui l’incarne.
- L’écrivain gallois Roald Dahl était fan de Peter et le voulait pour incarner Willy Wonka dans Charlie et la chocolaterie, dont la première adaptation sort en 1971 avec l’excellent Gene Wilder.
- The Future began yesterday (1967). Sous pseudonyme, Primo Levi a écrit un recueil de nouvelles intitulé Histoires naturelles. L’une d’entre elles raconte l’histoire d’un homme qui duplique sa femme. Peter demande à John Cleese et Graham Chapman (des Monty Python) de l’adapter. Dans le rôle de la femme, il envisage bien entendu Sophia Loren, dont il était follement amoureux. Le projet ne verra jamais le jour.
- La rencontre entre deux génies de la comédie a bien eu lieu mais n’a mené à rien. C’est dommage. Le tournage d’Embrasse-moi, idiot (1964) de Billy Wilder avait débuté sous le titre de The Dazzling Hour avec Peter Sellers dans le rôle d’Orville Spooner. Mais, quelques semaines plus tard, le comédien britannique subit une série de crises cardiaques et doit être remplacé par Ray Walston, que Wilder avait dirigé dans La Garçonnière. Toutes les scènes tournées avec Sellers sont refaites. Il n’en reste que quelques photos de plateau, dont celle-ci.

- Un autre excellent film de Billy Wilder aurait pu se faire avec Peter, La Vie privée de Sherlock Holmes (1970), dans lequel on lui propose le rôle de Watson face à Peter O’Toole en Holmes. Le film sortira finalement avec Robert Stephens et Colin Blakely. Il faut dire qu’entre Peter, grand improvisateur, et Wilder, avec qui il faut respecter le scénario à la virgule près, l’entente sur le plateau n’aurait pas été des plus cordiales.
- Dans les années 1970, alors que le film est encore loin d’être tourné, on propose le rôle principal de Tootsie (1982) à Peter, mais aussi à Michael Caine. C’est bien sûr Dustin Hoffman qui fera des merveilles dans le rôle.
- On songe à Peter et Marlon Brando pour jouer dans un film basé sur un scénario de Satyajit Ray intitulé The Alien. L’histoire de ce film qui n’a jamais vu le jour est assez hallucinante et elle a d’ailleurs sa propre page Wikipedia. Le scénario raconte l’arrivée d’un vaisseau spatial dans une mare en zone rurale au Bengale, le contact entre un être extra-terrestre amical (Mr Ang) et un garçon nommé Haba à travers des rêves, ainsi que des farces faites aux villageois pendant le bref séjour de l’extra-terrestre sur Terre. Des éléments du scénario se retrouvent comme par miracle dans Rencontres du troisième type (1977) et E.T. (1982). Ray lui-même a affirmé que E.T. aurait été impossible sans que son scénario The Alien soit diffusé aux États-Unis sous forme de copies mimeographiées (des copies de travail distribuées largement dans les milieux hollywoodiens). Ray renonce à entamer un procès, davantage intéressé par la création, le cinéma, ses œuvres, que par les batailles légales. Arthur C. Clarke aurait conseillé à Ray de ne pas s’engager dans un procès : dans une lettre, Clarke lui aurait dit que c’était « une dépense de l’esprit (et de l’argent) dans un gâchis d’ennui ».
- Peter Falk voulait Peter dans un épisode de la quatrième saison de Columbo appelé Negative Reaction (1974) dans lequel un photographe tue sa femme mais Peter demande un cachet beaucoup trop élevé. C’est Dick Van Dyke qui récupère le rôle.
- Francis Ford Coppola voulait Peter pour jouer Hyman Roth dans Le Parrain 2e partie. Alors en pleine débâcle professionnelle et personnelle, l’acteur laisse le rôle lui échapper pour jouer dans le très dispensable et oublié En voiture, Simone ! C’est Lee Strasberg qui joue le rôle d’une façon tout à fait magistrale.
- Une adaptation de la pièce de Samuel Beckett En attendant Godot est envisagée avec Peter !
- Avant que les deux hommes ne tournent le dernier grand film de Peter Bienvenue, Mister Chance (1979), Hal Ashby et lui envisagent un autre projet. Arigato est l’adaptation d’un roman burlesque de Richard Condon sur un casse de vin (“wine heist”). Ashby engage Terry Southern pour l’écriture du script. Après l’échec initial de Vol au-dessus d’un nid de coucou pour Ashby, il se rend à Londres pour en discuter avec Sellers ; mais Arigato ne sera jamais produit. L’intérêt de Sellers pour Being There s’est cristallisé, et ce projet-là a fini par se faire, ce qui a peut-être détourné l’énergie du projet Arigato.
- En 1962, une adaptation de Peter Pan envisage Peter dans le rôle du capitaine Hook face à Audrey Hepburn en Peter Pan. L’acteur dira qu’il n’a jamais vu de scénario. Au final, Disney fait capoter le projet.

Pour finir, quelques gâteries que les fans ne Peter ne pourront pas refuser. Tout d’abord, l’émission TV anglaise Parkinson invite Peter en 1974. Il débarque sur le plateau dans le rôle d’un nazi, casque et blouson en cuir de rigueur, avant de se livrer sur sa carrière et sa vie avec une grande candeur et sincérité. A la demande du présentateur, il se replonge dans les différents personnages du Goon Show avec délectation. Puis raconte une histoire hilarante du tournage de Laurence d’Arabie (1962) qui lui a rapporté Peter O’Toole.

Notons pour finir cet entretien dans lequel Kato (Burt Kwouk) attaque Peter et le présentateur ! Et la suite avec un entretien croisé avec Peter et Blake Edwards.
Vive Peter Sellers !