Parmi les grands films sortis en 1969 (Au service secret de sa majesté, Easy Rider, Que la bête meure, Le Clan des Siciliens), The Happy Ending est sans doute le moins connu. N’ayant pas bénéficié d’une sortie en salles en France, il a seulement été diffusé à la télévision (notamment dans le ciné-club de Patrick Brion sur FR3) et projeté lors de séances spéciales à la Cinémathèque française. Rien de suffisant, cependant, pour le faire connaître du grand public, encore moins pour lui apporter la reconnaissance qu’il mérite. Seuls les cinéphiles et les exégètes de Richard Brooks, cinéaste américain connu pour les formidables De sang froid (1967), La Chatte sur un toit brûlant (1958) ou encore Graine de violence (1955) – et disparu en 1992 – ont entendu parler de ce film.
Lors de sa sortie aux États-Unis, The Happy Ending n’a pas rencontré un grand succès commercial. Le film, s’il a été plutôt bien accueilli par la critique, n’a pas attiré un large public en salles. Un échec logique, vu son sujet (et son titre ironique) : le mal-être d’une femme au foyer enfermée dans un mariage étouffant et en quête d’émancipation.
Jean Simmons (Spartacus, Les Grands espaces), qui tient le rôle principal, a néanmoins été nommée à l’Oscar de la meilleure actrice, ce qui témoigne d’une certaine reconnaissance du film à Hollywood. Composée par Michel Legrand, la chanson What Are You Doing the Rest of Your Life? est devenue un standard. Malgré ces distinctions, The Happy Ending est resté un film relativement confidentiel, éclipsé par d’autres œuvres marquantes de la fin des années 1960.
Il est grand temps de le redécouvrir, et cet article se veut une bouteille à la mer pour les éditeurs français : ressortir le film en salles ou l’éditer en support physique serait une véritable œuvre de préservation cinématographique.
Le film suit Mary Wilson (Jean Simmons), une femme au foyer apparemment comblée qui réalise, après quinze ans de vie commune, que son mariage s’écroule et que sa vie ne lui apporte plus de satisfaction. Lassée de son quotidien et de son mari, elle décide de fuir sa routine et part en voyage à la recherche du bonheur et de l’indépendance. Son périple la confronte aux illusions du rêve romantique et à la réalité des désillusions conjugales.
The Happy Ending critique les idéaux du mariage traditionnel et explore la solitude, la dépression et le besoin d’émancipation des femmes dans l’Amérique de l’époque. Il constitue aussi une radiographie implacable d’une société américaine dans laquelle tout le monde se trompe. Le film adopte un ton mélancolique, une construction en flashbacks et une magnifique photo de Conrad Hall (De sang froid, Luke la main froide). Il se démarque par son approche réaliste, ses dialogues brillants et son analyse du vide existentiel que peuvent ressentir certaines femmes dans un monde régi par une société patriarcale dans laquelle l’accomplissement personnel passe après le devoir conjugal et où règne la dictature de la beauté.

Le film dialogue aussi avec l’histoire du cinéma par l’entremise d’extraits ou d’images de films issus de l’âge d’or hollywoodien qui ont marqué l’héroïne, notamment Casablanca (1942), ce qui permet à Richard Brooks de renforcer son propos en donnant une réalité au fossé entre le rêve hollywoodien et la réalité de la vie conjugale des années 1960.
Richard Brooks, également scénariste du film, était marié à ce moment-là à Jean Simmons, ce qui ajoute une dimension personnelle à l’histoire. C’est aussi son second film tourné avec sa femme après Elmer Gantry (1960).
La bande originale, signée Michel Legrand, contient la magnifique chanson aigre-douce devenue un classique What Are You Doing the Rest of Your Life?, avec des paroles signées par Alan Bergman et Marilyn Bergman, reprise notamment par Sarah Vaughan, Frank Sinatra, Shirley Bassey et Sting. Nommée à l’Oscar, elle a perdu face à une autre chanson devenue un standard : Raindrops Keep Fallin’ on My Head de Burt Bacharach et Hal David.
Aujourd’hui, The Happy Ending s’impose comme une œuvre passionnante et émouvante pour sa critique sociale et son atmosphère mélancolique, portée par une superbe performance de Jean Simmons, à (re)découvrir de toute urgence.
Richard Brooks poursuivra son exploration de la psyché féminine dans l’également méconnu À la recherche de Mr. Goodbar (1977) qui a lui aussi connu des déboires quant à sa disponibilité. Ces deux films posent les jalons d’une thématique qui documentera l’émancipation de la femme américaine, laquelle passera notamment par l’admirable Une femme libre de Paul Mazurski (1978), film sur lequel je reviendrai dans un prochain article.