Heureux hasard du calendrier. Quelques semaines à peine après le documentaire sur John Williams de Laurent Bouzereau, un nouveau doc sur un compositeur de musique de film, cette fois consacré à Michel Legrand, a les honneurs d’une présence à Cannes (dans la section Cannes Classics) et d’une sortie dans les salles françaises. Il était une fois Michel Legrand est le fruit d’une collaboration de sept ans entre le réalisateur David Hertzog Dessites et Michel Legrand lui-même, durée nécessaire pour acquérir la confiance et l’amitié du compositeur et réussir à financer un tel projet. “Michel Legrand est trop vieux pour faire l’objet d’un documentaire”, est un exemple de fin de non-recevoir que le réalisateur a pu entendre en cours de route de la bouche de certains producteurs frileux. Avec de la ténacité et le soutien au passage de certains proches (comme Stéphane Lerouge, biographe de Legrand et directeur de la collection Écoutez le cinéma chez Universal Music), le projet a finalement pu voir le jour grâce aussi au distributeur Dulac, qui a fait la pari de distribuer le film dans plus de 80 salles en France.
Présenté le mercredi 4 décembre à l’Arlequin en présence de l’équipe, le documentaire nous plonge d’emblée dans de nombreuses images d’archives (merci l’INA !), mélangées tout du long avec des entretiens récents avec le compositeur ainsi que de nombreux extraits de concerts, dont le dernier qui a eu lieu à la Philharmonie de Paris à la fin de l’année 2018, quelques semaines seulement avant son décès le 26 janvier 2019. En cherchant à s’éloigner d’une stricte structure chronologique, Il était une fois Michel Legrand n’échappe pas à une certaine impression de fourre-tout qui se marie bien avec la nature touche-à-tout d’un compositeur aussi à l’aise en France qu’aux États-Unis, dans le jazz, la variété que la musique symphonique.
Le réalisateur, admirateur de Legrand depuis l’enfance, s’attarde à raison sur son apprentissage avec l’exigeante Nadia Boulanger, sur certaines figures tutélaires, ainsi que sur son amitié féconde avec Jacques Demy qui a donné naissance à des chefs d’œuvres intemporels.
Comme toujours dans ce genre d’exercice, l’effet hagiographique menace, le terme de “génie” étant souvent entendu dans la bouche de célébrités, ici notamment Sting, Claude Lelouch ou Jean-Paul Rappeneau, sans être pour autant poussé à son paroxysme comme c’était le cas dans le film de Giuseppe Tornatore sur Ennio Morricone. Si le côté cassant et hyper exigeant du personnage avait été quelque peu gommé dans ce dernier film, ce n’est pas le cas ici, Legrand pouvant se montrer injuste et horrible dans ses inimitiés autant que généreux dans ses réconciliations.
Virtuose du piano, mélodiste génial, chanteur énergique, amoureux fou de la vie, Michel Legrand apparaît ici dans toute sa complexité, et le film fait bien ressortir les différentes étapes d’une vie bien remplie (y compris la dépression qui arrive pourtant au moment du succès de L’affaire Thomas Crown). Le compositeur a su garder vivante son âme d’enfant jusqu’au bout. C’est un régal de voir le musicien s’amuser à jouer ses partitions difficiles ou improviser sur les touches du piano avec une maestria confondante.
Au registre des regrets (car il faut bien en avoir), on notera une certaine pénurie d’extraits de films, sans doute pour des questions budgétaires, surtout en regard d’une filmographie pléthorique. Malgré tout, on ne boudera pas son plaisir devant cette évocation d’une carrière internationale hors du commun saluée par de nombreux prix (dont trois Oscars). En bref, un documentaire qui, après ceux dédiés à Morricone et Williams, contribue à honorer la musique pour l’écran à sa juste valeur.