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Light of my life
Cinema, musique et plus si affinités
Light of my life. JC Manuceau
08/05/202509/05/2025

Entretien avec Pierre Graffin : « Il y a une omerta autour de Vangelis qui est troublante »

A l’occasion de la sortie récente chez Camion Blanc du premier livre en français consacré au compositeur Vangelis, Lumière et ombre, j’ai eu envie de m’entretenir avec son auteur, Pierre Graffin, afin d’en savoir plus sur un musicien au parcours hors norme. Avec ce premier livre, Pierre nous fait partager sa passion pour l’auteur de scores mythiques comme Blade Runner, Les Chariots de feu, et 1492 : Christophe Colomb, véritable pionnier de la musique électronique, dont les succès commerciaux ont caché le reste d’une œuvre non moins passionnante mais en partie impossible d’accès.

Pourrais-tu te présenter en quelques mots, quel a été ton parcours ?

J’ai 54 ans. J’ai eu plusieurs vies. J’ai travaillé dans le marketing, dans l’édition musicale, chez Arcade et Wagram Music, puis chez des labels indépendants à la fin des années 1990. À la suite de ça, j’ai été instructeur de plongée sous-marine. Je suis parti vivre en Malaisie pendant un an. J’ai travaillé en tant qu’instructeur puis je suis passé dans l’Éducation nationale. J’ai été prof d’anglais jusqu’à il y a cinq ans et avant cela, j’ai chroniqué pour les magazines Rockstyle, Hard Force, Progressia et pourle Huffington Blog.

Est-ce que tu peux nous dire d’où est venue cette idée de livre ? Tu es fan de Vangelis depuis longtemps ?

Depuis très longtemps. Comme je l’explique dans la préface du livre, j’ai été imprégné très tôt par sa musique. Je me souviens en particulier d’une publicité qui passait dans les années 1980 pour l’Unicef avec une musique de Vangelis, avant même que je ne le connaisse, et je trouvais ça vraiment puissant. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué à l’époque. Ma vraie découverte de Vangelis a été avec l’album L’Apocalypse des animaux (1973) que ma grande sœur avait, puis avec la bande originale de Blade Runner (1982) dont j’ai eu la version non officielle jusqu’à ce que la version officielle sorte en 1994. J’ai été accro à partir de ce moment-là.

Est-ce que tu peux nous dire d’où vient le titre Lumière et ombre ?

Cela vient tout simplement du titre d’un morceau de Vangelis est extrait de son album 1492 : Christophe Colomb (1992), le BO du film de Ridley Scott, un de ceux qui se sont le plus vendus avec Les Chariots de feu (1981). Et dans cette bande originale qui, au demeurant est magnifique, il y a un morceau qui s’appelle Light and Shadow. Ça m’a donné naturellement le titre de ce livre parce que j’ai essayé d’explorer la lumière et aussi l’ombre du personnage car, en fait, malheureusement, il y a beaucoup plus d’ombre que de lumière. Quand je dis d’ombre, c’est sur sa vie, sur sa carrière. C’est quelqu’un qui ne voulait pas parler aux journalistes et quand il l’a fait – de manière sporadique – on retrouvait à peu près toujours le même discours, c’est-à-dire qu’il parlait très peu de lui-même. Toute la difficulté a été de trouver le plus d’informations possibles concernant son enfance, sa jeunesse et son début de carrière, etc.

Donc j’imagine que tu as fait tout un travail de documentation ? Tu as trouvé pas mal de sources ?

Oui, beaucoup. En anglais surtout. Il y a énormément de choses sur Internet. Je me suis également aidé de la biographie de Mark J. T. Griffin, la première édition qui est sortie en 1994, et d’une autre rédigée par Tomás Vega Moralejo en 2019. Sachant que ces livres-là ne couvrent pas la fin de carrière de Vangelis. Pour la fin de carrière, ça a été un peu plus facile pour trouver des sources puisqu’il y a eu beaucoup de choses qui sont sorties sur le Net. Mon livre est une synthèse en français de tout ce que j’ai pu trouver sur Internet, dans les magazines, dans des vidéos sur le sujet. C’est une synthèse. Je n’invente rien, je me contente de synthétiser en français toutes les informations que j’ai pu trouver sur le personnage.

Si tu devais caractériser la musique de Vangelis en trois mots, lesquels utiliserais-tu ?

C’est une musique céleste. J’ai envie de dire planante, même si je n’aime pas le terme car il est un peu galvaudé. Une musique inspirante, presque extra-terrestre. Et quand je dis extraterrestre, ce ne sont pas les petits hommes verts, c’est vraiment extra-terrestre.

Au niveau spirituel.

Voilà, c’est spirituel.

Est-ce que tu as pu remonter jusqu’à ses origines grecques ?

Tout à fait. Ces informations ont été relativement faciles à trouver sur sa naissance, sur son enfance, sa formation initiale, son travail dans Aphrodite’s Child qui l’a rendu célèbre. Son tout premier groupe s’appellait Forminx, il l’a formé en 1965 avec des camarades d’école, c’était de la pop psychédélique, ça fait beaucoup penser à ces musiques des films de la fin des années 1960.

Ce qu’il a fait par la suite n’a rien à voir avec ça.

Strictement rien à voir. Le processus a été lent et long. Et surtout, ce que ce que j’adore chez ce compositeur, c’est qu’il est passé d’instruments acoustiques à des instruments électroniques en se renouvelant à chaque fois ou presque. C’est à dire qu’on a vraiment une évolution dans ses compositions et même sur sa période qui est la moins « commerciale », c’est à dire grosso modo fin des années 90 jusqu’à sa disparition. On a des choses incroyables, de recherches de sons, d’atmosphères. Et il avait cette particularité que peu de compositeurs ont en musique électronique d’avoir ses sons à lui. C’est à dire qu’il y a des sons qui sont complètement identifiables à Vangelis, on entend le son d’un synthétiseur, le CS-80, mais c’est son son à lui. C’est quelque chose qu’il a façonné, et qui est resté sa signature.

Ce n’est pas lui qui a créé le synthétiseur ?

Non, mais il s’en est servi d’une façon iconoclaste. Et aujourd’hui, quand on entend ce son de synthétiseur, on reconnaît sa patte.

J’ai lu dans ton livre qu’à son décès, il y a pas mal de gens qui ont réagi, notamment Jean-Michel Jarre, qui a reconnu justement ce côté novateur en termes de musique électronique. Il y a d’autres personnes aussi dans les années 60-70 qui ont pas mal utilisé aussi le synthé. On pense évidemment à François de Roubaix, ou aux États-Unis à Jerry Goldsmith notamment. Est-ce qu’entre les pays il y avait une influence, entre la Grèce, l’Angleterre, les États-Unis ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Maintenant, c’est sûr que la scène européenne a eu une influence, je pense, avec des groupes en particulier comme Klaus Schulze et Tangerine Dream, au début, vraiment, les tout premiers albums de Tangerine Dream, on avait vraiment cette recherche de sons, des choses qui étaient très novatrices, très révolutionnaires à l’époque, Kraftwerk aussi. Donc est-ce que Vangelis a été nourri de ça ? Je ne saurais pas le dire. En tout cas, je n’ai pas trouvé de source qu’il atteste. À aucun moment je n’ai entendu Vangelis parler de ça.

Qu’est-ce qu’il cite comme influences ?

Il cite des influences très étonnantes. J’en parle dans mon livre, des influences de jazz. Et c’est quelque chose qu’on retrouve dans Forminx, cette façon de composer assez libre, une peu « free jazz », avec des improvisations. Il cite Thelonious Monk, Charlie Parker ou Ella Fitzgerald…

Pas des compositeurs classiques donc.

Non, je n’ai pas trouvé de sources dans ce sens. C’est un iconoclaste, il a appris la musique tout seul. Il raconte que quand il était tout petit, il allait jouer au piano de sa mère et que quand il était encore plus petit, il se cachait sous le piano pendant que sa mère jouait. Il était fasciné par le bruit que faisaient les notes au-dessus de sa tête. Il a très tôt écrit des petites pièces de musique. Et d’ailleurs, je cite dans mon livre un écrivain grec célèbre, Strátis Myrivílis, qui parle de sa rencontre avec le petit Vangelis qui avait six ans et la rencontre est assez touchante parce qu’il lui demande : « D’où est-ce que tu sors tout ça mon petit Vango ? » Il l’appelait comme ça. Et lui de répondre : « Je ne sais pas, ça me vient tout seul. » Il y a vraiment cette spontanéité qui s’est manifestée tout au long de sa carrière. On est complètement à l’opposé, par exemple, d’un Ennio Morricone qui a eu une formation académique très stricte. Loin aussi d’un John Williams qui écrit ses partitions à la main. Là, pas du tout. D’ailleurs, il avait son propre langage à lui. Quand il travaillait sur ses synthés, il prenait des notes qu’il était le seul à pouvoir interpréter. Un jour, ils ont fait appel à une jeune femme qui a dû reporter sur des partitions traditionnelles les notes de de ses compositions. Il n’avait rien. Il fonctionnait complètement à l’instinct. Il n’est pas le seul à fonctionner comme ça. Il y a beaucoup de compositeurs qui parlent de cette espèce d’inspiration qui leur tombe dessus. Pour lui, vraiment, l’écriture venait de quelque part, et il se revendiquait que comme le décodeur de ce langage. Il écoutait ces influences-là qui lui parlaient et il les retranscrirait sur ses claviers. D’ailleurs, il avait des claviers partout. Je n’ai pas eu la chance d’aller chez lui, mais je sais qu’il avait des claviers partout chez lui qui étaient reliés à un disque dur centralisé. Il jouait spontanément et il enregistrait. Il y a des heures et des heures d’enregistrement de Vangelis qui ne sont jamais sorties, qui sont dans un disque dur quelque part, on ne sait où, et qui vraisemblablement ne sortiront jamais. Il y a au moins autant d’œuvres non officielles de Vangelis que d’œuvres officielles.

Qu’est-ce que tu appelles non officiel ?

Qui sont sorties sous forme de bootlegs, par exemple pour parler de l’une des plus connues, mais c’est loin d’être la seule, la bande originale du Bounty, film de Roger Donaldson de 1984 avec un gros casting et une grosse production qui n’a pas connu le succès commercial attendu.

Je vois une corrélation assez forte avec de Roubaix, parce que comme chez Vangelis, il y a ce côté autodidacte et iconoclaste. On reste en dehors des schémas habituels. Sauf que de Roubaix a aussi travaillé avec l’orchestre. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas de Vangelis.

Si, au tout début de sa carrière. Il a travaillé avec un grand chef d’orchestre anglais qui s’appelle Guy Protheroe avec qui j’ai été brièvement en contact pour la rédaction de ce livre. Mais si, Il a travaillé avec des chœurs, avec des orchestres. C’est quelque chose qui le passionnait au début de sa carrière et à la fin surtout. Mais contrairement à de Roubaix qui n’utilisait pas que des synthétiseurs, lui a utilisé on va dire quasiment que ça, même si ce n’est pas tout à fait le cas parce qu’il a eu des projets parallèles où il n’y avait pas uniquement des synthétiseurs, mais en tout cas ses albums entre 1977 et jusqu’à la fin de sa carrière, avec quelques exceptions, c’est surtout du synthétiseur. Il y a des exceptions, par exemple les musiques de El Greco (1998), que ce soit la musique de l’album ou la musique du film homonyme de 2007. Là, on a des chœurs, on a des choses très influencées d’ailleurs par sa sensibilité grecque, sa sensibilité orientale, qui est complètement prégnante et fait partie intégrante de sa musique.

On le sent assez fortement dans Blade Runner notamment.

Absolument. Avec les interventions de Demis Roussos. Aphrodite’s Child, en particulier le dernier album, 666 (1972), montre aussi ses influences méditerranéennes.

Cela fait longtemps que je ne l’ai pas écouté.

C’est un monument. Personnellement je le trouve un peu monolithique, mais pour moi, 666 est un peu le brouillon de Heaven and Hell qui est sorti trois ans après. Un des tout premiers albums de sa carrière qui reste à mon avis encore aujourd’hui le plus important, le plus emblématique et le plus brillant. Heaven and Hell, c’est vraiment une extension de la deuxième partie de 666, mais en beaucoup plus structuré, beaucoup plus accessible. Tu devrais y jeter une oreille.

Qu’est-ce que Vangelis a apporté de nouveau à la musique de film ?

Il a été le premier à remporter un Oscar, pour la musique des Chariots de feu, avec un album de musique exclusivement électronique. Déjà, rien que ça, c’est une avancée.

Il y avait aussi Giorgio Moroder à cette époque-là.

Tout à fait, Giorgio Moroder a composé la musique de Midnight Express (1978), mais en tout cas, Vangelis a été le premier à remporter un Oscar pour un album électronique. Et il a su tirer la musique de film vers le grand public.

On parle souvent de Blade Runner, des Chariots de feu et de 1492 : Christophe Colomb. J’imagine que ce sont les branches de l’arbre qui cache la forêt ?

Ce sont ses œuvres les plus connues. Il y en a eu d’autres comme Antartica (1983) qui a été un succès au Japon. Il a pas mal marché en France quand il est sorti quelques années plus tard, Ça fait partie de ces albums officiels comme L’Apocalypse des animaux (1973), une compilation de musique de documentaire de Frédéric Rossif. Des musiques de films, il y en a plein d’autres. Il a fait Lune de fiel (1992) pour Polanski, etc. En 2014, il a composé la musique d’un film sur la guerre d’Algérie, Le Crépuscule des ombres, de Mohammed Lakhdar-Hamina, un réalisateur algérien qui avait eu une palme d’or à Cannes en 1975 pour Chronique des années de braise. Je pense que c’est à ce moment-là qu’ils ont dû se rencontrer. Et pour ce film, il n’y a rien, ni DVD, ni BO, rien. C’est dommage. Il n’y a que des extraits interprétés par d’autres. C’est vraiment l’arbre qui cache la forêt car il y a vraiment une quantité prodigieuse de musique à découvrir.

Comme beaucoup, j’adore le score de Blade Runner (1982). Est-ce que tu peux nous raconter comment s’est passée la collaboration entre Ridley Scott et Vangelis ?

Scott, au début de sa carrière, réalisait des publicités, notamment une pour une pour Chanel. Ils se sont rencontrés à ce moment-là. Et pour Blade Runner, là encore, il y a beaucoup de choses officielles et beaucoup de choses non officielles car Vangelis travaillait de la manière suivante : le réalisateur lui envoyait les rushes, il se les projetait et il improvisait dessus dans son home studio.

Il habitait où à ce moment-là ?

A Londres, ce qui a dû faciliter le contact avec Ridley Scott. Il avait horreur de revenir sur un morceau qu’il avait composé. Il disait que retravailler un morceau qu’il avait écrit nuisait à la spontanéité et donc nuisait à la qualité de la composition. C’était son point de vue. Il avait horreur de ça, ce qui explique qu’il n’était pas toujours très partant pour faire des musiques de film car il savait qu’il y avait des allers retours en permanence. Il savait très bien qu’il allait devoir retravailler, tout au moins recaler ses œuvres par rapport au timecode, etc. Alors d’après une source, pour Blade Runner, à un moment donné, il en a eu marre parce qu’il y avait trop d’allers retours. Ce serait une des raisons pour lesquelles cette bande originale n’est jamais sortie officiellement. J’évoque toutes les toutes les raisons dans mon livre. Malheureusement, je n’ai pas LA raison puisque personne ne la connaît. En fin de compte, il s’est opposé à la sortie de la bande originale du film. L’autre raison, c’est qu’il ne voulait pas être cantonné dans le rôle de compositeur de musique de film. Étant donné qu’il avait déjà été oscarisé pour Les Chariots de feu, il n’était même pas présent à la cérémonie quand il a obtenu l’Oscar de la meilleure musique en 1982. Cela fait partie de la complexité du personnage. Il y a cette ambivalence en permanence de quelqu’un qui parfois donne l’impression de cracher dans la soupe. Ce ne sont que des rumeurs mais j’ai entendu qu’à la fin de sa vie, il demandait à sa domestique de lui lire les commentaires de ses morceaux sur YouTube. Il aimait beaucoup ça. Mais encore une fois, ce sont des rumeurs. Voilà, j’aurais aimé le rencontrer et avoir la chance qu’il me raconte, au crépuscule de sa vie, plus de choses que ce qu’il avait raconté au préalable. Mais il est mort trop tôt malheureusement, en mai 2022.

La même chose m’est arrivée avec mon livre sur Ennio Morricone.

J’ai pris son décès en pleine gueule. Ça m’a vraiment fait un choc. Non seulement parce qu’il était prévu que je le rencontre, mais aussi parce que c’était une partie de ma vie qui partait. Mais pour revenir sur Blade Runner, s’il y a eu beaucoup d’allers retours, Ridley Scott a donné son feu vert très vite.

Il n’y a pas eu de désaccord sur la musique ?

Non, Scott était content du travail de Vangelis.

Je trouve que ça se sent quand on voit le film, la musique est bien mise en avant.

Absolument.

Il s’appuie beaucoup sur la musique en termes narratifs. Et ça, c’est vraiment le signe qu’un réalisateur apprécie un compositeur, il la met en avant.

Tout à fait. Par ailleurs, dans la bande originale de Blade Runner, il y a un morceau qui s’appelle « One More Kiss, Dear », qui fait très musique américaine des années 30-40. Et en fait, c’est une composition originale. Au départ, Ridley Scott avait envisagé d’inclure dans la bande originale de son film des vieux morceaux de ces années-là. Est-ce que c’est vrai ou non, je ne sais pas, mais Vangelis aurait très mal pris le fait que Ridley Scott ait envisagé de faire ça. C’est peut-être pour ça qu’il a composé ce morceau qui rappelle ces compositions-là. Scott voulait donner cette touche de film noir à Blade Runner en y incluant des vieilles musiques. Ce qui s’est fait au final dans Blade Runner 2049 (2017) avec l’inclusion de morceaux d’Elvis Presley et Frank Sinatra.

Du coup, quand est-ce que la BO est sortie ?

Elle est sortie en 1994, à la surprise de beaucoup de gens parce qu’on n’y croyait plus trop.

Dans une version complète ?

C’est une version retravaillée avec des morceaux qui ne figurent pas dans le film. Là encore, il a fait ce qu’il a voulu. Il a sorti la BO qu’il voulait.

Pourtant ce n’est pas lui qui détenait les droits ?

Non mais je pense qu’il avait quand même un certain pouvoir. Et quand le film est sorti, ça n’a pas été un succès commercial du tout. Le film est devenu mythique au fil des ans. Si la maison de disques avait eu la possibilité de sortir la musique du film sans demander son avis préalable à Vangelis, elle l’aurait fait bien avant 1994. Connaissant les maisons de disques, ils ne se seraient pas privés de le faire. Mais ils n’ont pas pu. Je pense qu’il y avait une clause qui interdisait à la maison de disques, tout simplement, de sortir ça sans l’accord de l’artiste. Et il n’est pas le seul. Dans beaucoup de cas, les maisons de disques ne peuvent pas sortir quoi que ce soit sans avoir l’accord préalable des artistes en question ou de leurs ayants droit.

Qu’est ce qui s’est passé dans la tête de Vangelis en 1994 pour qu’il ait envie de se replonger dans ce travail ?

Je pense que plusieurs facteurs ont joué. Tout d’abord, il a changé plusieurs fois de label dans sa carrière. Il a atterri chez Warner Music en 1990 pour la sortie d’un album qui est quand même assez obscur mais qui est intéressant, The City. Et je pense que Warner a dû à un moment donné lui dire bon, on aimerait bien sortir la bande originale de Blade Runner. Sauf que The City, ça n’a pas non plus été un délire au niveau des ventes. Donc je pense que ça a été un gentleman’s agreement avec son nouveau label de l’époque. Mais à la condition qu’on retrouve sur cette bande originale des morceaux qui ne figurent pas dans le film. Et à plus forte raison des morceaux qui sont dans le film et qui ne sont pas sur cette bande originale officielle, dont on va retrouver d’autres extraits sur l’édition anniversaire sortie en 2007. C’est une édition anniversaire qui est sortie avec trois CD : la bande originale de 1994, un deuxième CD avec que des morceaux inédits dont certains qui sont absolument splendides, et un troisième CD de compositions complètement inédites, un nouvel album inspiré de l’esprit de Blade Runner, mais ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux.

Comment Vangelis composait-il ? Est ce qu’il prenait des notes ? Utilisait-il des partitions ?

Des partitions non. Comme je l’ai dit en préambule, il avait son propre code à lui. Il prenait des notes sur une feuille de papier mais pour le commun des mortels, ça ne voulait rien dire du tout. C’étaient ses codes à lui. En fin de carrière, avec ses claviers, il pouvait faire des compositions qui ressemblaient énormément à de la musique symphonique, il pouvait reproduire des sons de cordes, de cuivres, de percussions, des choses très pointues. Et il avait ces petites notes, ces petits trucs à lui.

Il avait des techniciens quand même dans son studio.

Bien sûr.

Il ne devait pas toujours enregistrer dans son propre home studio. Parfois, il enregistrait dans des studios, dans de vrais studios d’enregistrement ?

Oui mais il s’est rapidement affranchi de ça. Quand il est parti en Angleterre en 1975, il a eu à cœur de construire son propre studio pour composer ses œuvres, en gros à la fin de Aphrodite’s Child. Ses premières œuvres solos ont été enregistrées dans des studios extérieurs. Mais avec l’argent qu’il a gagné avec ça, l’une des premières choses dans laquelle il a investi, c’est son studio personnel dès 1975 à Londres. Il y a enregistré son album Heaven and Hell au moment où le studio était en construction. Je raconte ça dans le livre. C’était sportif parce qu’il était au milieu des perceuses, des ouvriers en train de travailler et lui il était en train de composer !

Il a déménagé de Grèce à Londres et après il a vécu toute sa vie à Londres ?

Quand Aphrodite’s Child est né, ils ont voulu partir à Londres pour faire carrière. Mais pour des raisons de visa, ils ont été bloqués en France pendant les événements de 1968. Ils n’étaient plus que trois à ce moment-là, car le quatrième avait été retenu en Grèce par son service militaire. Les trois membres ont été bloqués à Paris, et c’est là qu’ils ont commencé à enregistrer le premier album d’Aphrodite’s Child. Leur premier succès a donc été français. C’est important à souligner, car Vangelis a pu déclarer que les Français ne connaissent rien à la musique. Mais, accessoirement, le succès de Aphrodite’s Child a été quand même très franco-français au départ.

Ensuite, il est parti à Londres. Il y a vécu jusqu’au début des années 1980 puis, il a été à cheval entre Londres et la Grèce où il avait sa propre résidence. Ses trois résidences principales étaient à Athènes, Londres et Paris.

Il n’a jamais coupé les ponts avec son pays d’origine ? Il avait de la famille là-bas ?

Il en parle très peu. Ça fait partie des grands mystères du personnage. Il avait un frère qui s’appelait Nico et qui a été important dans sa carrière puisqu’ils se sont entraidés. Mais il en parle très peu. La seule chose que l’on sait, c’est que Nico est mort en 2014, et Vangelis lui a dédié son dernier album officiel.

Forcément, c’est quelqu’un qui a compté pour lui.

C’est quelqu’un qui a compté, mais il n’en parle pas. Et même dans les nombreuses interviews. Et il y a même un DVD d’interview, Vangelis : And the Journey to Ithaka qui est sorti en 2013,qui a été fait par un Anglais, Tony Palmer. Il y a quatre heures d’interview, il n’en parle pas ou très peu, et on sent que dès qu’on aborde des sujets qui sont liés à sa vie personnelle, il se ferme. Il le fait de manière très polie, mais il louvoie pour échapper à ces questions-là. Il y a une espèce d’omerta autour de Vangelis qui est troublante, pour ne pas dire un peu inquiétante. Quand Mark J.T. Griffin a sorti sa biographie de Vangelis en 1994, il a reçu un recommandé de Warner. Pour mon livre, j’ai essayé de contacter plein de gens, notamment sa veuve ou sa dernière compagne qui ne m’a pas répondu. Est-ce qu’ils étaient mariés ? On ne sait pas. J’ai notamment contacté un des musiciens avec lesquels il a travaillé dans Forminx il y a soixante ans. Je ne lui ai pas demandé des secrets d’alcôve. Juste des anecdotes sur les enregistrements, comment ça se passait, comment était le personnage, comment ils se sont rencontrés ? Je ne demandais rien de provocateur. Mais il a refusé de parler. Il m’a répondu poliment, contrairement à d’autres dont je ne parlerai pas. Il a dit : « Je suis vieux, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, et ensuite ça relève de sa vie privée. Je ne vais pas divulguer quoi que ce soit sur la vie privée de Vangelis. » Alors qu’il ne l’avait sans doute pas vu depuis des décennies au moins, et qu’il avait travaillé avec lui il y a soixante ans. On en est là.

Pour conclure, si tu avais eu la chance de rencontrer Vangelis, qu’est-ce que tu aurais aimé lui demander ?

J’aurais vraiment aimé lui demander pourquoi autant de ses œuvres n’ont jamais bénéficié d’une sortie officielle. Il a toutefois donné quelques pistes dont je parle dans mon livre. D’une part, le fait de ne pas vouloir être cantonné au rôle ou à l’image de compositeur de musique de film parce qu’il avait horreur des cadres et des conventions. Il ne voulait pas du tout être assimilé à un compositeur de musique de film. Sauf que ce sont ses musiques de films ou de documentaires qui ont remporté le plus de succès commercial [comme Morricone d’ailleurs, NDLR].

Davantage que ses albums solos.

Absolument. Et cela mène à ma deuxième question : cela n’est-il pas un peu frustrant de ne pas avoir réussi à se faire un nom en dehors de la musique de film ? J’avais aussi préparé d’autres questions plus personnelles. Est-ce qu’il aurait accepté d’y répondre ? Je ne le saurai jamais.

Peut-être t’en aurait-il parlé à titre confidentiel ?

Ou en tournant autour du pot comme il l’a très bien fait avec les nombreux journalistes qui l’ont interviewé et qui se sont qui se sont heurtés à ce mur. Il détournait toujours le sujet. Quelqu’un m’a demandé récemment sur Facebook si mon livre est une biographie officielle. Non, ce n’en est pas une et il n’y en aura jamais. Car même si pour une raison miraculeuse, des gens très proches de lui se mettaient d’accord pour écrire une biographie officielle de Vangelis avec des détails vraiment importants, intimes, personnels, sans forcément rentrer dans des choses indiscrètes, elle serait apocryphe. Et c’est ce qui rend d’ailleurs ma biographie, comme celle des autres, finalement un peu lisse. Moi je dis les choses telles qu’elles sont. C’est difficile de rendre ça humain. C’est vraiment la difficulté que j’ai eue. Et que d’autres ont eu également. D’où le titre Lumière et ombre.

C’est quelqu’un d’assez mystérieux. Presque impénétrable.

C’est exactement ça.

Quels sont tes projets ?

J’ai entamé un travail d’écriture sur le groupe Toto qui devrait voir le jour l’année prochaine.

Merci beaucoup Pierre pour tes réponses et bravo pour cet hommage passionnant à ce grand compositeur.

Le livre de Pierre Graffin est en vente dans toutes les librairies ainsi que sur le site de Camion Blanc.

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1 thought on “Entretien avec Pierre Graffin : « Il y a une omerta autour de Vangelis qui est troublante »”

  1. Jean-Marie Rossignol dit :
    08/05/2025 à 20h51

    J’ai eu la chance de rencontrer Vangelis à Paris .. c’etait en 1981 je crois .. un copain l’avait croisé chez Musicland il lui avait parlé et lui avait dit j’ai un ami qui est fan de toi et qui aimerait te rencontrer .. Vangelis avait accepté et j’ai pu passer deux heures à discuter avec lui dans un café à Montparnasse .. il etait tres gentil et surpris que je connaisse autant de ses creations … un tres bon souvenir

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